Zoom sur la société UNEAL, acteur concerné par le Canal Seine Nord
Cette 5 ème interview de personnalité économique directement intéressée au canal Seine-Nord (CSN) intervient dans un contexte historique bien particulier que va-infos ne veut surtout pas éclipser. UNEAL compte sur le CSN pour doper l’export. Mais 10 ans de perdus se rattrapent-ils questionne son directeur M.Caillaud ?
Soyons clairs : dans 5 jours la France aura un nouveau président de la République, soit Emmanuel Macron soit Marine Le Pen. Dans nos colonnes nous avons cité au moins une fois le premier nommé qui, et parmi les premiers candidats, non seulement s’est toujours déclaré supporter du CSN mais a donné quelques informations précieuses sur les procédures en cours, je veux ici mentionner le fait que la Déclaration d’Utilité Publique de 2008 était à refaire, ce qui est en cours. Encore un ralentisseur comme si ce projet en avait besoin.
On lira en fin d’interview le dernier « cadeau » au canal fait par notre futur ex-président qui a suscité pas mal de commentaires au niveau national et régional. Bref, au cas où Marine Le Pen deviendrait notre présidente puisqu’il faut bien appeler les choses par leur nom, de prime abord le son de cloche serait pas mal fêlé vues ses positions anti-européennes hautement proclamées allant toutes dans le sens d’un protectionnisme Trumpien dont les conséquences économiques, financières et donc sociales précipiteraient très vite dans la rue ceux qui l’auraient portée au pouvoir pour l’en faire partir derechef. L’Histoire est féconde en retournements tragicomiques de ce genre mais, s’agissant de notre économie grand régionale et nationale et finalement européenne, le dossier qui suit montrera les bouleversements qu’un Frexit provoquerait à la lumière des difficultés britanniques qui ne font que commencer.
Le CSN est-il menacé par une telle éventualité si l’Europe retirait ses 42% du financement (environ 1,8 milliards d’euros). Bien sûr ! Mais surtout ce serait l’ hallali définitif tant les coups portés par les politiques contre lui pleuvent encore aujourd’hui, ne leur en déplaise (on peut détailler à l’occasion…). Et cela a débuté bien avant la campagne des Présidentielles. Le plus grave serait surtout de priver le bord à canal d’activités qui y font cruellement défaut depuis des décennies et aussi, on l’oublie beaucoup, l’intérieur des terres, la campagne (et ses maires si chers à Mme Le Pen qui ne veut que la commune, le Département et l’Etat et plus rien au-dessus…,) de retombées économiques durables, financières et sociales (que d’emplois directs et indirects) clairement annoncées par les cabinets spécialisés. Le danger existe pourtant même si Martine Le Pen a mis plusieurs gros bémols à quelques prises de positions euro-économiques imprudemment balancées avec, il est vrai, d’abord des objectifs électoralistes. Mais la raison peut aussi lui revenir sous la pression de réalités incontournables : faire sans le CSN et son cortège de dynamiques irradiantes et sans l’Europe, premier marché mondial avec une monnaie unique qui prend le pas sur le dollar avec une certaine régularité maintenant, c’est emprunter toutes proportions gardées la voie de l’Albanie d’Enver Hodja des années 60. Ca a très mal fini !
La rédaction de www.va-infos.fr, proche du monde de l’Economie à dimension européenne a, elle, fait son choix et tient à le faire savoir.
Unéal : un acteur historique et national (qui exporte) du bord à canal, l’identité d’une Région aussi !
Qui n’a pas aperçu dans la plate campagne de notre Nord-Pas de Calais-Picardie ces immenses silos de grains déversant leur contenue dans les péniches, du côté de Marquion et bien ailleurs ? Sans méconnaître la concurrence (le groupe Carré notamment) nous nous sommes attachés au groupe Advitam et à sa composante plus connue Unéal, associé à sa filiale Ternovéo (pour les céréales) . A Saint-Laurent- Blangy (Arras) Maurice Caillaud est le directeur Céréales du groupe, un poste stratégique puisqu’il ne faut jamais oublier que le bon vieux canal du Nord destiné à alimenter en matières diverses la ville de Paris voilà quelques siècles, servait surtout à acheminer les « grains » comme on dit dans le métier. La grande différence avec ces temps reculés, c’est que les flux fluviaux se réorientent vers Rouen, Dunkerque via Béthune et Saint-Omer, la Belgique-Flandre avec Anvers, Rotterdam, la Wallonie, et puis l’Est vers l’Allemagne, tous les réseaux étant bientôt connectés et au gabarit européen. L’autre nouveauté dont M.Caillaud se réjouit c’est l’ouverture Sud de notre grande région aux flux venant de La Somme. Ce n’est pas pour rien que le CSN ne peut qu’être européen.
Maurice Caillaud, quelle est la position de votre groupe sur le CSN ?
Nous sommes sur le bord à canal depuis 1936…Unéal a été créé en 2002 mais cette vocation est permanente, nous somme un opérateur majeur faisant vivre la batellerie dont les centres nerveux sont Douai, et Lyon, rajoutons Lille bien sûr et les ports de Picardie. Bref, on le voit,
nous sommes au niveau national et depuis belle lurette présents à l’export, part d’activité en constante augmentation. Nous comptons une trentaine de coopératives, sur ces parcours fluviaux nous avons 13 silos mais les VNF (Voies Navigables de France) n’ont plus les moyens financiers de les entretenir. 8 sont en grand gabarit donc nous sommes déjà aux normes européennes avant que le canal ne démarre. On avait 2 silos proches du chemin de fer, Arleux a été démonté, reste Boiry. Bref, le CSN, nous participons de très près à son éclosion, nous sommes informés très précisément, très régulièrement car notre développement à l’export en dépend étroitement.
Alors ces derniers temps, nous avons constaté que la date de mise en route du grand gabarit était à nouveau repoussée, cette fois pas avant 2025. Or nous sommes le premier chargeur de France en blés, nous avons d’une certaine façon une responsabilité vis-à-vis du céréalier-exploitant dont nous prolongeons l’activité. Car nous ne sommes que transporteurs. Mais chez nous la logistique est le second poste derrière les salariés. C’est vous dire son importance vitale.
Pourquoi privilégier la voie d’eau depuis si longtemps ?
D’abord nous avons la chance dans notre moitié Nord de France de disposer de nombre de cours d’eau, c’est même exceptionnel, le bord à canal est pratique à utiliser, les camions peuvent manoeuvrer, bref l’alliance de ces spécificités nous sert naturellement depuis les tout débuts. Et puis le chemin de fer a sa propre logique qui ne colle pas forcément avec la nôtre. Le fer est à vrai dire peu disponible alors que l’eau est là, disponible et abondante, elle ! En 2015, 78% de notre réexpédition vers Dunkerque et le Bénélux se fait par l’eau. Il faut aussi parler d’écologie, notre image de grand groupe de transport est importante surtout à l’heure européenne, n’oublions pas que nous sommes dans la filière des biocarburants… Donc la voie d’eau est privilégiée, mais en raisonnement CO 2, le CSN retiendra 55 tonnes alors que le fer n’est qu’à 14 et la péniche traditionnelle 10.Très attractifs tout ça !
La taille et les rotations des péniches et des futures barges vont compter aussi dans les calculs de rentabilité en cas d’un CSN enfin actif ?
Bien entendu ! La voie d’eau permet d’augmenter la souplesse de volumes du fret. Notre vocation c’est d’aller vers les nombreux canaux menant au Bénélux via l’Escaut et la Lys, les basses eaux étant faibles nous aident à l’accès vers le Rhin, donc il est facile d’aller en Allemagne. Aujourd’hui comme dans beaucoup d’autres activités, l’export est indispensable. Notre premier débouché c’est le Bénélux. Notre marché fonctionne par tiers : 1) Dunkerque-Europe, 2) les aliments du bétail et 3) les amidons. Pour le second on va de 1 à 2 500 tonnes vers le Bénélux en blés et orges, les amidons allant vers Roquette et Cargill sur Gand. Citons aussi le fret colza sur des 1 800 tonnes puis les usines de Tereos Syral en Belgique livrées via des 500 tonnes.
Si la taille des péniches joue selon les frets, les besoins du client sont à mettre en rapport avec ce chantier du CSN. J’explique : le client a besoin de linéarité, il faut l’assurer qu’aucune interruption du flux ne se produira ça semble logique. Le CSN peut nous en assurer. C’est ainsi qu’en blés nous avons pu le faire et les expédier pour l’export à partir de Dunkerque avec les plus bas coûts si l’on utilise des bateaux de 1 000 tonnes. On le voit, là avec ses barges à grand gabarit, le futur canal peut jouer un rôle dans ce type de flux sécurisé et à prix compétitifs. Plus on augmente en tonnages, plus nous sommes compétitifs avec des prix attractifs, ce peut être une dynamique du CSN. Par comparaison, les malteurs belges se voient proposer des 500 tonnes. Quant à Rouen, on y va peu, c’est notre filiale Ternoveo qui s’en charge.
Pour y voir plus clair dans les grandes lignes de votre activité, comment se présente le futur pour votre groupe ?
Là, disons qu’il faut être prudent et surtout concret. La partie imprévisible, c’est l’export pour le moment tant que les fluctuations entre l’euro et le dollar continuent de jouer à cache-cache. Et selon les variétés transportées…Le CSN ne pourra pas ignorer ces constatations s’il veut calculer sa rentabilité. Il nous faut trouver des clients solides financièrement et leur proposer des céréales d’excellente qualité pour des applications bien précises. Exemple, le Hagberg de la pâte à pain avec des blés ・ 11% de protéines. (NDLR : L’Indice de chute Hagberg détermine l’aptitude d’un blé à être utilisé dans les industries de cuisson.) Le marché reste aléatoire : il faut une grosse flotte, des péniches de 2 500 tonnes quand on peut. En 2015 on a trouvé・ »on a eu une activité superbe mais en 2016, les faibles rendements n’ont pas permis d’exporter« .
Mais ce qui est très préjudiciable, ce sont les hésitations, les retards apportés au démarrage du canal, on finit pas un peu déprimer, on hésite dans l’investissement, on le fait ? On ne le fait pas ? Finalement, on avait prévu d’investir sur les berges du CSN mais ne voyant rien se faire, on investit ailleurs. Nous avons 16 hectares entre Graincourt-lez-Havrincourt (près de Marquion et de Cambrai) et Hermies mais on attend, on fige l’investissement prévu dans un silo de 30 000 tonnes. On attend… Alors le CSN est -il intéressant ou pas ? Comment répondre ? Quand on investit ailleurs et qu’on voit qu’on a bien fait et que le CSN n’évolue pas ou si lentement, on finit par ne plus y penser au canal. C’est le danger.
Autre élément de réponse qui montre que rien n’est figé en économie et que l’appréciation d’un jour n’est plus celle du lendemain, ce que peut-être certains politiques ne voient pas clairement, il y a des situations qui bougent . Exemple : au nord de Péronne on a des très bons blés à diriger à l’export par Dunkerque , là le CSN va nous aider à progresser en rentabilité. Or pour apprécier les prix proposés par un transporteur, c’est ceux de l’export que tout le monde prend en référence.
Optimiste tout de même sur le CSN ?
10 ans de retard ont tout compromis !Des freins au CSN, il y en a. Mais du coup, nos projets aussi… On avait un silo Rue des Vignes envasé! En 1983 un silo à Marquion idéalement placé, centre nerveux du CSN soit-disant avec ses écluses et sa proximité avec Cambrai etc, or on apprend que l’écluse de Paluel ne se ferait pas ! Donc le CSN ne passe plus à Marquion ? Alors, je suis de plus en plus dubitatif…
Si je cherche bien des choses positives au CSN, je dirai que ouvrir la concurrence au Sud des Hauts-de-France est une bonne chose, ils peuvent venir chez nous, on va travailler ensemble. Que la Somme a aussi une large porte ouverte vers Dunkerque pour le profit de nos agriculteurs, que l’écologie y gagnera et qu’on prouvera encore une fois que la voie d’eau est la plus propre. Nous, on reste proches de nos mariniers et on espère que la souplesse des process et les bonnes relations continueront CSN ou pas.
Quelques points de repère :
– Le fret fluvial augmente en 15 ans en France de +38%
– L’unité de transport est la tkm (tonne de fret déplacée sur 1 km)
– En 2010 le fluvial français a transporté 8 milliards de tkm soit 3% du fret total. En Allemagnecette part monte à 20%
– Avec 1 kg de pétrole on transporte 1 tonne de fret sur 93 km, 33 km par la route
– Le réseau fluvial français est le plus grand d’Europe avec 8 500 km
– 50% des gabarits de péniches vont de 249 à 399 tonnes chargées. Les grands gabarits tournent autour de 3 000 tonnes et représentent 20% de la flotte fluviale.
– Le grand gabarit pour lequel le CSN est conçu va de 1 000 à 3 000 tonnes et fait 110 m de long pour une puissance en CV de 1 000. pour une péniche de 38 m, on descend à 100 CV, la moyenne de la flotte étant cà ce jour de 300 tonnes.
– 1 tonne de fret produit 30 grammes de CO 2, c’est 90 par la route.– Le fret fluvial en France, c’est 30 % de matériaux de travaux publics et bâtiment, autant de produits agricoles et 15% de combustible.
– Les céréales transportées par Unéal : blés, orges, fourragères, pois, colzas 00 (surtout pour les biocarburants fabriqués par les Diesters) colzas érucique et oléique, orges de brasserie tracée ou non tracée, maïs et féveroles.
– Les points de collecte d’Unéal : Warlus, Moislains, Arleux, Neuville- sur- l’Escaut, Cléry, Boiry, Mondicourt, Gueschart, Neuville-au-Cornet, Frencq, Aire-sur-la-Lys, Petite-Synthe, Coutiches, Beaufort, Haulchin. Au total en NPDC : 22 antennes de secteur, 5 points Servie-Printemps, 147 dépôts Appro/Collecte et une plateforme de stockage. A noter que Somme et Escaut sont réunis dans la même entité géographique, contact www.uneal.fr.
Et encore un an de retard ! Le gouvernement du CSN enfin constitué…
Notre confrère LesEchos (quotidien national d’économie) ne décolère pas. Il annonçait voilà
3 semaines que le 30 mars 2017 avait enfin été signé le protocole de financement du canal Seine-Nord qui « lui permettrait de démarrer mi 2017 » (sic) . L’Etat, les deux régions Ile de France et Hauts de France, les Départements du Nord, du Pas-de-Calais, de la Somme et de l’Oise, ont dit vouloir abonder pour financer l’ouvrage. Voilà 2 ans que le secrétaire d’Etat aux Transports, M.Alain Vidalies, avait à Amiens créé la Société de Projet…Que de temps galvaudé ! Le décret signé le 30 mars 2017, il aura fallu encore attendre le 20 avril 2017 pour qu’il soit constitué. Malgré l’opposition du président des Hauts de France Xavier Bertrand et de ses amis Républicains qui voyaient Jean-Louis Borloo occuper le fauteuil, c’est bien le député socialiste de Maubeuge Rémi Pauvros déjà « pressenti » par l’Elysée et Matignon, qui a été confirmé à la présidence de la SDP, cette fois par ses pairs…
Un conseil de surveillance, un directoire, un comité stratégique, pas moins, ont été constitués.Une machine décidément bien lourde… Autour de R.Pauvros, on retrouve les élus-phares des collectivités concernées : X.Bertrand (Les Républicains) , Gérard Darmanin (LR), Valérie Létard (UDI), JR.Lecerf (LR), Michel Dagbert (PS), plus 12 représentants de l’Etat. Curieusement Valérie Pécresse (LR) président de la région Ile de France, n’est pas citée…Toujours selon le communiqué officiel que semble reprendre Les Echos , le CSN serait donc à l’horizon 2024. Or notre interview ci-haut, parle de 2025 et pas seulement lui.
Que de retard pour finalement confirmer les sommes prévues depuis plus de 2 ans. En effet voici le décompte : l’UnionEuropéenne42%, soit 1,8 Mds €, l’Etat français 1 Md€, Hauts de France 352 M€, Ile de France 110 M€, le Nord 200 M€, le PdC 130 M€, la Somme 70 M€, l’Oise 100 M€. Auxquelles ont ajoute 700 M€ pour aléas de chantier et une prévision d’inflation de 1,5% qualifiée par les élus de très généreuse, de plus de 10% du budget total, (M.Darmanin) mais qui peut-être, se révèlera insuffisante, qui sait ?
Notons tout de même que l’engagement de l’Ile de France est « de principe » et que selon Didier Leandri, président du Comité des Armateurs Fluviaux, « Plus de retour en arrière n’est possible ! » Ce à quoi Pierre Dac aurait rétorqué que cela ne signifie pas que les choses avancent. Pour autant, ce qu’attendent pourtant les entrepreneurs et les marchés concernés, eux, et si possible en accéléré car non seulement l’économie change tous les jours et peut rendre ce canal hélas vain mais l’équilibre politique de ce « gouvernement » fait quand même frémir eu égard aux prochaines échéances électorales et il y en aura peut-être d’inattendues.
Patrick Urbain (sujet CSN 5-suite de l’enquête début juin)