Valenciennois

Julien Herrault, jusqu’au bout de la nuit.

Ces mercredi 01, jeudi 02 et vendredi 03 mars à 20h, Julien Herrault présentera, Will I See You Again, son spectacle dans le cabaret de curiosités. Nous l’avons interviewé quelques jours avant, le temps de partager un café, tout simplement assis sur les planches, dans la salle de Pasolini presque prête pour accueillir sa performance. Julien Herrault est là. Calme. Serein. Il nous parle de son spectacle, bien sûr, mais aussi de ce voyage initiatique qui a fait de lui ce qu’il est aujourd’hui. Jolie rencontre.

« C’est à couper le souffle. Je suis submergé par l’émotion. Des larmes me montent aux yeux. Quelque chose est en train de se passer. Je suis tellement impatient de partir encore un peu plus loin. Loin du bruit. Loin de la foule. En lien direct avec les puissances terrestres. La Terre de glace. J’ai cherché sur cette île volcanique de l’Atlantique nord, l’isolement,  la peur et la perte. J’ai voulu une terre sauvage éloignée de toutes traces de l’Homme et établir un lien étroit entre le terrestre et le céleste. »

Will I See you Again est une renaissance artistique, et personnelle. Comme Kerouac, je l’avoue, les seuls gens vrais m’intéressent, les fous d’envie de vivre, fous d’envie d’en parler, d’être sauvés, fous de désir pour tout à la fois, ceux qui ne baillent jamais et qui ne disent jamais de banalités, mais qui brûlent, comme des feux d’artifice extraordinaires, qui explosent comme des étincelles dans les étoiles, comme une chandelle dans la nuit….Julien Herrault en a pris le chemin. Et il a des choses à dire.

Will I See You Again est une autofiction construite à partir d’une quête personnelle vécue entre Paris, Londres et Reykjavik, à la suite d’une rupture amoureuse puis artistique. «J’ai été follement amoureux d’un homme pendant 7ans. ( Il collabore et partage sa vie durant ces années là avec le metteur en scène et performeur Xavier Déranlot. Ensemble ils créent le duo Mr X & Mr J au sein du projet Fanadeep, projet visant à mettre en place différents processus d’écritures narratives, esthétiques et physiques à travers la photo, la vidéo, le son et la performance.) L’histoire amoureuse s’est terminée. Rupture. Je ne croyais plus en rien, plus rien. Destruction massive. La seule solution a été de fuir, de perdre mes repères. J’en avais besoin, j’ai foncé. Je n’avais pas de but… », confie t-il. Au bout de ce long chemin, il s’est trouvé. Il est devenu lui. Son vrai lui.

« J’avais besoin de me frotter à ma solitude ( silence). Pour devenir moi-même. Pour trouver ma place. J’étais en rejet total. Je me suis intéressé à la nécessité des choses. Du besoin pour vivre. J’avais besoin de silence, de calme. J’ai fait un travail sur la vérité, le mensonge ne m’intéresse pas. Je suis vrai. » Simplicité et vérité comme préceptes de vie. Au terme de cette aventure, l’artiste plasticien, dessinateur, peintre et performeur, a reconstruit son écriture artistique en solo.

Un dossier de presse où flottent ses mots, ses maux, sur des airs de journal intime.

Curieux et attirant. «Je pensais écrire une note d’intention de deux ou trois pages mais c’est bien plus long. Une sorte de journal à posteriori, ou plutôt de fragments d’un journal retraçant mes deux dernières années. Aujourd’hui, il me semble évident d’en parler pour comprendre ce projet. Cela m’est venu de manière naturelle.», explique t il, naturellement. Un zeste de Cheryl Strayed de Wild qui part pour un périple en solitaire et affronte ses plus grandes peurs, frôle ses limites, marche sur le fil de la folie et découvre sa force, et une pincée de Christopher Mc Candless, subjugué par la beauté de la nature « La nuit commence à tomber. Le paysage autour de moi rougit étrangement, des champs de lave à perte de vue. C’est à couper le souffle. Je suis submergé par l’émotion. Des larmes me montent aux yeux. Quelque chose est en train de se passer. Je suis tellement impatient de partir encore un peu plus loin. Loin du bruit. Loin de la foule. En lien direct avec les puissances terrestres. La Terre de glace. J’ai cherché sur cette île volcanique de l’Atlantique nord, l’isolement,  la peur et la perte. J’ai voulu une terre sauvage éloignée de toutes traces de l’Homme et établir un lien étroit entre le terrestre et le céleste – j’y ai travaillé jusqu’à l’épuisement.  Je commence la méditation comme un besoin naturel. Grande spiritualité. On dit que les choses ne viennent jamais par hasard. La solitude m’a rendu puissant, libre et invincible. L’ Islande est aussi une curiosité. Cette sensation d’être loin. J’ai vécu des choses fortes. L’énergie est très forte. C’ est une terre incroyable. On s’y sent protégé, isolé. Rien ne peut arriver. », partage t-il. Celui qui aime écouter The Do et qui avoue avoir été marqué par les livres d’ Antonin Artaud, Hervé Guibert ou encore Michel Foucault et les peintures de Francis Bacon et Hans Bellmer aussi…ajoute «on vit avec le climat là-bas, le vent est violent. La lumière de l’Islande….Le solstice d’été a été très perturbant pour moi, j’y ai compris le rôle de la nuit. » 

Et puis un jour, petit à petit, le goût de la culture a repris ses saveurs, « j’ai repris la lecture, regardé des films, j’ai vu des expos….Tout doucement c’est revenu. J’ai persisté et continué mon chemin. J’ai accepté l’épreuve. Puis lentement mon corps m’a lancé des signaux d’alerte. Ces signes se sont accentués. Ils se sont transformés en maux qui m’ont laissé le goût du sang dans la bouche. Ils m’ont fait toucher du doigt la folie. J’ai écrit la performance, je suis revenu à la création. »

« Allo Pasolini ? C’est Julien Herrault, je vous appelle de Reykjavík… »

Crédit photo Frédéric Iovino
Crédit photo Frédéric Iovino

C’est encore les pieds sur les terres Islandaises que le jeune homme a appelé Nathalie Le Corre et Philippe Asselin, en juillet 2015. L’équipe de Pasolini n’a pas hésité une seule seconde et lui à proposer une résidence en janvier 2016, pour mettre sa démarche à l’épreuve de la scène. De cœur à cœur. Il faut dire que Julien a été découvert par Pasolini à ses débuts alors qu’il était au Centre National de Danse Contemporaine d’Angers dans le programme de formation ESSAIS dirigé par Emmanuelle Huynh. Cette pause chez Pasolini prend des airs de bouffée d’oxygène. L’artiste le confirme, «  c’est un lieu intime où l’on se sent bien ».

Le retour en France, Julien Herrault a commencé son travail de mémoire visuelle et sensorielle : « j’ai créé mes bêtes, mes créatures migratoires – liées au temps, à l’effort et à la persévérance. Je me suis souvenu des noirs intenses, des blancs lumineux, des roches menaçantes, des fontes disparues, du vide vertigineux. J’ai créé une déshumanisation rêvée, en me rappelant le sang de mes blessures. »

Sur les murs, de grandes peintures, constituent les éléments principaux de la scénographie, et restituent ces paysages qui l’ont environné durant des mois. Ici le noir, le blanc et le rouge se partagent la toile. En s’appropriant l’espace scénique comme son propre espace mental, Julien Herrault, expose de manière radicale son territoire intime, ses instabilités, ses fragilités, ses obsessions et ses impasses où son corps est devenu la principale victime puis l’unique témoin de son histoire. 1 h 20 de performance scénique. Digne d’une préparation physique intense.

Le regard de Nathalie Le Corre. La belle histoire de Julien et de l’Espace Pasolini.

« Julien est vraiment un enfant du laboratoire artistique de l’Espace Pasolini. Il y est venu pour la première fois,  il y a une douzaine d’année. Il a eu un coup de cœur pour le lieu et ce qu’il en a ressenti. Un jour, j’ai reçu un appel téléphonique de Julien me demandant si nous accueillerons le travail qu’il réalisait désormais en tant que jeune professionnel avec Xavier Déranlot, jeune metteur en scène formé au Théâtre National de Bretagne qui venait de fonder sa compagnie Fanadeep. Julien entame avec Xavier et la compagnie  une aventure tant humaine qu’artistique. Par la suite, l’Espace Pasolini accueillera toutes les créations de Fanadeep jusque Les Cornes du Diable, possession and more en novembre 2012. Puis plus rien, plus de nouvelles. Julien et Xavier se quittent, leur création commune explose. », raconte Nathalie Le Corre. Puis un jour de 2015 «  Julien me rappelle  pour me faire part de son retour sur Paris après deux années, coupé de tout, en Islande. Il veut ré-explorer son geste d’artiste, retrouver la scène qu’il a abandonné pendant trois ans; et c’est à l’Espace Pasolini qu’il souhaite le faire. Nous l’accueillons en résidence en janvier 2016 pour qu’il puisse reconquérir son identité artistique. En naît Will I See You Again. Romaric Daurier vient voir une répétition et fait part à Julien de son désir d’inscrire ce travail dans le pôle européen de création en 2017… ».

Will I see you again est la première partie d’une trilogie.

Trois histoires qui narrent « mon besoin vital de créer : la perte, l’instabilité, la solitude, l’endurance, le rituel, la nuit, le dépouillement, la joie, la reconstruction. », note Julien avant de lancer la suite «la seconde partie, With All My Love, questionnera mon rapport au consumérisme sexuel par les différents moyens de rencontres existants dans notre société (internet, applications) et des sentiments contradictoires qui l’accompagnent : le contrôle, le risque, l’attachement, le besoin, la vibration, le cœur, le système, le pouvoir, la dépendance. »  Enfin le dernier volet de cette trilogie sur la matérialisation de l’intime à travers le dévoilement de ses expériences personnelles et de leurs acceptations où le concept d’impermanence est omniprésent, s’intitulera Son Of A Butcher, et questionnera ses origines à travers les figures du père et de la mère : la rencontre, la terre, l’enfance, la boucherie, l’amour, la putréfaction, le secret, l’éclipse, le prolongement.

La première représentation aura lieu ce mercredi 01 mars à 20 h à Pasolini, suivront les soirées de jeudi et vendredi. L’artiste est seul sur scène, l’écriture est instinctive, c’est l’histoire intime d’une quête personnelle avec pudeur et obscénité, douceur et brutalité, calme et violence, tendresse et cruauté, humour et tristesse. Mais on ne vous en dira pas plus, juste une chose, Will I See You Again commence par la lecture d’un texte que Julien a écrit dans un moment où, dans son voyage initiatique, il s’est perdu, volontairement, en Islande, en haut d’une montagne, la nuit…

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