Julien Poix : « La France Insoumise est restée un super-comité de campagne présidentielle »
Lundi 27 novembre 2023, Julien Poix, Conseiller régional des Hauts de France, officialise sa rupture avec le parti politique « La France Insoumise » dont il était devenu une figure dans le Nord depuis l’origine. D’autres membre de LFI sont partis dans le silence, mais ce Conseiller régional décide de libérer sa parole politique, affiche sa déception profonde, mais martèle également ses convictions ancrées à gauche, et ses espoirs pour demain. Julien Poix s’explique sur le fond et la forme même si Jean-Luc Mélenchon juge déjà de « gamineries » toute opposition à sa ligne politique.
Parfois, il y a des prises de températures sociales marquantes dans une vie. Ainsi, on s’aperçoit au fil de l’histoire que le CPE de Dominique de Villepin (2006) a mis dans la rue toute une génération de jeunes, et pour certains ils sont restés des militants. Ce fut le cas de Julien Poix. Puis, il enchaîna comme militant au sein du P.S (2007-2011), forge ses convictions au sein du Parti de gauche (2011-2016), et enfin participe avec Ugo Bernalicis et Adrien Quatennens à l’émergence du parti LFI à Lille.
C’est à cette époque qu’il se frotte pour la 1ère fois au suffrage universel pour la campagne législatives 2017 dans la 19ème circonscription. Comme le mouvement « En Marche », LFI a mené une campagne de terrain (septembre 2016-juin 2017) ébouriffante. « Très efficace, avec une dynamique exceptionnelle, un rouleau compresseur de campagne ; pour moi, cette élection, et le score très élevé de Jean-Luc Mélenchon, était celle de l’adhésion à son projet ». On se rappelle qu’Ugo Bernalicis était venu animer un café-débat sur la sécurité à Denain, qu’Anne-Lise Dufour avait balayé d’un revers de main tout rapprochement avec LFI face au Rassemblement National. Le résultat des courses était écrit dans le ciel, Julien Poix réalise 12,83% au 1er tour contre 14,08% pour Anne-Lise Dufour remportant le scrutin d’un souffle dans sa propre ville contre le Rassemblement National. Les deux candidats laissent le 2ème tour à Sébastien Chenu (RN) et Sabine Hebbar (EM), nous connaissons la suite, mais c’est le début de l’histoire de la montée du RN sur la 19ème circonscription, le pied dans la porte sur le Denaisis. Aujourd’hui, Sébastien Chenu a été réélu en 2022 avec une fonction prestigieuse de vice-président à l’Assemblée nationale, et Joshua Hochart est sénateur du RN, et conseiller municipal à Denain. Tout à un début dans une histoire politique, l’erreur d’analyse de la présidentielle 2017 a propulsé le RN durablement sur le Denaisis avec en ligne de mire la municipale 2026.
« Agora jamais réunie », Julien Poix
Fort de ce résultat, l’enseignant au collège du Moulin Blanc à Saint-Amand-les-Eaux prend du galon et devient le militant LFI en charge du suivi des luttes sociales sur le Département du Nord. Puis, chemin faisant, il est propulsé aux municipales 2020 à Lille, « mais j’ai constaté un manque de soutien du parti sur ce scrutin. Au fil des mois, j’ai commencé à m’apercevoir qu’il y avait un verrouillage. Comme militant, il était impossible de participer à une réflexion sur la ligne politique, sauf par le biais d’un.e député LFI. Par exemple, un système d’AGORA a été proposé en 2018 aux militants afin de réfléchir sur nos choix politiques. Cette dernière ne s’est jamais réunie. LFI n’a jamais choisi de prendre un siège (même modeste), voire toute autre organisation d’un parti politique », commente Julien Poix
Non le programme « L’Avenir en Commun » était sans discussions, la démocratie interne passait dans le Bureau de Jean-Luc Mélenchon, l’objectif était déjà en 2017 le « bruit et la fureur, car il ne faut que les militants restent dans le combat, qu’ils ne posent pas le fusil, sinon ils vont réfléchir ! C’est un fonctionnement totalement hégémonique », poursuit-il.
La NUPES, une bonne idée, mais des responsabilités…
Pour autant, Julien Poix est très attaché aux piliers de ce programme commun « la 6ème république, la transition écologique, la justice sociale et fiscale. Oui, la NUPES était une bonne idée permettant aux 4 composantes de créer un Groupe Parlementaire, mais il y a une hégémonie claire d’une des 4 formations. La France Insoumise n’a pas pris conscience de sa grande responsabilité : devenir la force motrice, le pivot d’un gouvernement d’Union Populaire rassemblant les citoyens et les forces de progrès », poursuit-il.
Face à cette immense responsabilité, la France Insoumise n’a pas relevé le gant. « Elle est restée un super-comité de campagne présidentielle ».
« Une complaisance coupable », Julien Poix
Outre le comportement de LFI au sein de l’Assemblée nationale conjuguée avec une absence totale de dialogue avec la base voulant évoluer pour une union de la Gauche plus forte. L’attitude et plus encore les mots avec « une complaisance affichée sur le conflit du Moyen-Orient de Jean-Luc Mélenchon et de certains députés est choquante. C’est un choix pensé comme payant au niveau électoral. Un mort est un mort israélien comme palestinien. Il y a un aveuglement sémantique et, selon lui, il est le seul détenteur de cette vérité alternative », explique Julien Poix.
« Au moment où les Françaises et les Français vivent des crises multiples il ne choisit pas de montrer une gauche qui écoute, qui rassure, qui protège. Ce programme « L’Avenir en Commun » est suffisamment radical pour ne pas en rajouter. Il faut donner un horizon positif à gauche aux français », ajoute-t-il.
En résumé, le leader charismatique de la France Insoumise n’a tout simplement pas enfilé le costume à l’issue des résultats des législatives 2022.
Prochainement, l’équivalent d’un congrès devrait se dérouler avec un représentant LFI par département sauf « qu’ils seront désignés par un comité interne au département et nous connaissons d’avance comment cela va se passer. Les militants désignés seront complètement en phase avec la ligne politique de JLM », précise Julien Poix.
Cette tentative de démocratie au sein du mouvement ne trompera personne, et d’ailleurs le mouvement LFI se fissure en interne. Alexis Corbière, Raquel Guarrido, Clémentine Autain, et « François Ruffin que je suis beaucoup. J’observe, je regarde, je respecte leur décision. Ils ont décidé de faire une révolution de l’intérieur, moi de l’extérieur », commente le Conseiller régional.
Bien sûr, il connaît parfaitement ses illustres collègues du Nord, Adrien Quatennens pour lequel « je ne peux pas comprendre son maintien au sein de LFI. Comme enseignant, si je commets un tel acte, je serai radié immédiatement. Ensuite, comme élu, nous avons un double devoir d’exemplarité, nous sommes doublement responsables. Visiblement, quoi qu’il fasse, Adrien Quatennens est intouchable ! ». Concernant Ugo Bernalicis, son propos est concomitant avec son coup de force au sein de la Commission des lois. « Quelle image donne La France Insoumise de la démocratie parlementaire ! ». Etonnant pour un parti dont le coeur du moteur est de redonner du pouvoir au Parlement face au Président de la République pour lequel la constitution de la 5ème République lui octroie un pouvoir inégalé en Europe, voire au monde, au sein d’une démocratie évidemment.
« Je suis libre, mais je siègerai avec Les Ecologistes », Julien Poix
Sa rupture avec LFI impose un choix politique. « A cette heure, je ne prends aucune autre carte politique, je suis libre, mais je siègerai avec Les Ecologistes. Ma demande a été acceptée à l’unanimité. Cela me rassure un peu ! » explique l’ex militant LFI.
Enfin et surtout, il ne souhaite aucun mal à La France Insoumise : « Je veux tout simplement que LFI sorte de cette culture minoritaire. Oui, une NUPES 2 plus ouverte avec une force parlementaire unie de gauche est mon souhait ».
Ce qui fait la différence entre le départ de Julien Poix et d’un autre militant réside d’abord dans un choix contraint d’un militant en phase globalement avec un programme sur le fond, espérant le meilleur pour son ex parti politique, et pourtant il quitte le bateau face à l’insoutenable pratique politique au quotidien de Jean-Luc Mélenchon et de certains députés, sa garde rapprochée. Beaucoup plus que des divergences sur des points politiques, naturelles dans un mouvement, le refus d’un grand n’importe quoi au détriment des millions d’électeurs de gauche est assez édifiant.
L’après élection européenne sera éclairante pour la suite, la base de la NUPES est parfois bien plus responsable que les élites. C’est pas une nouveauté dans tous les partis politiques, mais là nous sommes au paroxysme comme si Jean-Luc Mélenchon était devenu sa propre caricature politique.
Toute personne ayant assisté à un meeting de Jean-Luc Mélenchon peut se poser une question simple. Comment une telle puissance intellectuelle peut-elle se perdre dans l’analyse d’une stratégie politique compte tenu des nouvelles responsabilités à la sortie des urnes en juin 2022, et une majorité relative à la clé. C’est incompréhensible où l’égo beaucoup plus fort que l’intellect, le dépassement de soi exigé et nécessaire n’a pas eu lieu visiblement chez LFI en campagne permanente !
Daniel Carlier