Dans ce triptyque de la journée Alim’Tour, le dernier agriculteur rencontré était d’une autre dimension. En effet, sur Hélesmes, la ferme de M. et Mme Huges cultive la pomme de terre, mais pas seulement, avec la particularité de vendre la totalité de leur production à l’exportation. Les tenants et les aboutissants de cette démarche sont éclairants à plus d’un titre.
(visuel Dominique et Stéphanie Hugues)
Dominique Hugues : « Les belges et néerlandais nous achètent des pommes de terre moches, pas les français »
Nous parlons d’une transformation d’entreprise majeure puisque la famille d’agriculteur Hugues était plutôt orientée sur l’élevage depuis 50 ans « avec une exploitation laitière en plein coeur du village d’Hélesmes et les perturbations pour le voisinage à la clé. Nous avons eu la chance de récupérer des terres de mon père à l’extérieur du village », commente Dominique Hugues, le fils repreneur de l’entreprise familiale.
Le grand virage fut le choix d’une exploitation céréalière avec la construction de hangar pour stockage et l’assolement de 165 hectares (culture par succession et alternance sur un même terrain pour conserver la fertilité du sol). La diversité est de mise avec en majorité du blé, du colza, de la betterave, et des pommes de terre sur 30 à 40 hectares.
Clairement, la production de la pomme de terre génère le chiffre d’affaires principal de l’entreprise, il n’y a pas photo. « Ce territoire n’est pas spécialisée dans ce produit. Nous produisons des pommes de terre, dîtes moches, et l’intégralité de la production est achetée par l’industrie de transformation des pommes de terre (chips, et autres produits dérivés). Aviko, producteur belge, Clairbout Potatoes, producteur néerlandais achètent la totalité de notre stock. De leur côté, les français refusent de nous acheter ce type de produit. Les belges et Néerlandais nous achètent des pommes de terre moches, pas les français », explique Dominique Hugues.
Ainsi, une production agricole du Valenciennois part intégralement à l’export, certes de proximité. Pour autant, outre le fait de diminuer notre balance commerciale déficitaire, elle interroge sur la souveraineté agricole française.
Pour autant, ces grandes entreprises du Bénélux encadrent complètement les tenants et aboutissants de cette production qu’ils viennent prendre livraison (départ/champ) directement à la récolte ou après un stockage d’où la construction des ces hangars gigantesques. « Nous devons obligatoirement acheter leurs implants, maxi 4 variétés.De cette manière, il sont assurés de la qualité du produit à la sortie. Enfin, nous contractualisons chaque année un tonnage de livraison que nous devons impérativement respecter sous peine de pénalité financière. Donc, nous sommes très prudents dans nos projections. Si nous récoltons un peu plus que la quantité livrée, nous la liquidons sur le marché français », indique Dominique Hugues.
Bien sûr, la période Covid fut compliquée pour tout le monde où le stock est d’abord resté dans les hangars, mais « nous avons avons eu la chance (pas comme d’autres) de liquider celui-ci pour de la fécule », précise l’agriculteur.
« Pénurie d’ouvrier saisonniers chez les jeunes », Stéphanie Hugues
En activité depuis 2017, la nouvelle vie agricole de la ferme Hugues, qui a abandonné complètement l’activité laitière, stocke son matériel d’extraction dans l’ancienne exploitation en centre ville. Evidemment, les machines sont conséquentes, des trieuses, mais n’occultent pas le besoin d’ouvriers agricoles saisonniers au moment clé de la récolte.
Clairement, c’est la disette pour trouver des volontaires temporaires. « On ne trouve que des personnes de plus de 50 ans. Nous connaissons une pénurie totale d’ouvriers saisonniers chez les jeunes », souligne Stéphanie Hugues.
Après la récolte, pour la partie non récupérée directement le jour même, le stockage est de mise « avec près de 1 500 tonnes dans ces hangars remplis à raz bord. D’ailleurs, à la fin de cette période de séchage, le volume diminue de 10% », ajoute Dominique Hugues.
« La nature n’aime pas les faibles », Dominique Hugues
Evidemment, nous sommes loin de la petite ferme de Flines-Les-Mortagne d’où l’intérêt de la visite afin de comprendre la diversité agricole du territoire. Cette agriculture intensive doit participer aussi au panel agricole avec son implication sur les bonnes pratiques écologiques. « Cette année, nous n’avons pas récolté de betteraves. Nous essayons d’utiliser le moins d’engrais possibles et de valoriser le sol. Pour autant, la nature n’aime pas les faibles, elle est impitoyable (sur la résistance d’une culture). Il est nécessaire que le consommateur final paye le juste prix et d’accepter, parfois, des légumes moches afin de vivre encore de son métier », analyse Dominique Hugues.
Un projet de panneaux photovoltaïques sur la toiture des hangars était dans les tuyaux, mais la guerre en Ukraine et son impact énergétique a enterré, à ce stade, cette initiative environnementale. « Nous avons contacté notre fournisseur d’énergie. Même s’il investit une partie, nous devons injecter plus de 100 000 euros, c’est impossible pour nous en ce moment », conclut Stéphanie Hugues.
La visite de la Ferme (urbaine) du Pinson, en plein coeur du quartier Sabatier sur Raismes, a permis de clôturer cette vision large de la pratique agricole sur le territoire de La Porte du Hainaut. Du petit agriculteur de proximité à la récolte intensive avec une exportation sur un circuit long en passant par une pratique populaire partagée, l’agriculture a de multiples visages et chaque composante constitue un maillon important de l’agriculture française et incontournable concrètement. A l’heure où la France est révélée comme le pays où les sites de restauration rapide sont les plus nombreux au monde (rapport population) « avec une hausse de 7% de la demande mondiale en pomme de terre », précise Dominique Hugues…, vous ne pouvez pas ignorer cette composante.
L’agriculture autrement passe par une analyse fine de la collectivité territoriale à travers le prochain PAT(Plan Alimentaire Territorial… prévu pour 2024). Ce projet devra prendre en compte ce diagnostic de terrain, les signaux faibles, les alertes majeures, le souhait d’une autonomie alimentaire sur ce territoire au regard des besoins des cuisines centrales des collectivités locales, la précarité galopante soulignée par des associations caritatives représentées sur le Valenciennois (Banque alimentaire, Le Secours populaire, les Resto du Coeur…), la vente de légumes au sein du commerce de proximité, dans les marchés de plein vent ou couvert, aucun maillon ne doit manquer afin de parvenir à tendre vers une agriculture plus respectueuse des bonnes pratiques environnementales en soutenant aussi l’autonomie alimentaire au maximum sur ce bassin de vie. Le consommateur doit aussi faire sa part du chemin, rien ne peut se faire seul en la matière.
Daniel Carlier