(UPHF) Le pouvoir politique du trait et de la bulle
L’adage commun du « Tout est politique » concerne les images tous supports confondus, les comportements, les commentaires, et évidemment les livres, mais la BD demeure toujours dans un univers à part. D’ailleurs, en France, elle est restée très longtemps à l’écart du tumulte politique permanent, mais les choses ont évolué depuis quelques années. A ce titre, l’UPHF organisait aux Tertiales, le jeudi 13 octobre, un colloque dont le titre était accrocheur « Bande(s) Dessinée(s), Comics, pouvoir et politique ».
Emmanuel Cherrier : « Longtemps, la loi de 1949 a pesé avec une certaine autocensure »
Le temps du XXième siècle est déjà loin derrière nous et pourtant certaines lois marquent encore notre Droit français. Parmi celles-ci, la loi du 07 juillet 1949 à destination des publications de la jeunesse. A l’époque, les Comics américains débarquent en France et un réflexe protectionniste d’une production nationale, avec une forte inclinaison conservatrice et anti-américaine, se fait jour. Commentaire et extrait de la loi de 1949…« Les publications destinées à la jeunesse ne doivent comporter aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche, ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse, ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques. Elles ne doivent comporter aucune publicité ou annonce pour des publications de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse ».
Outre la censure inhérente à cette loi où le Ministère de l’Education nationale fut un véritable cerbère en la matière, la pensée des professionnels français « a connu des interprétations. En effet, longtemps la loi de 1949 a pesé avec une certaine autocensure des auteurs et autrices. C’est pourquoi en France, la BD fut la grande oubliée de la Politique », commente Emmanuel Cherrier, Maître de Conférences en sciences politiques au sein de l’UPHF.
Evidemment, dans le monde francophone, toute une génération a baigné dans l’univers de « Tintin avec des analyses géopolitiques, mais en France la bibliographie est très faible malgré des pionniers comme Iznogoud, Achille Talon avec son dynamitage des institutions sociales, voire Blueberry et son rapport à la guerre », ajoute Emmanuel Cherrier.
Sur ce colloque, en deux jours sur l’Université Polytechnique Hauts-de-France le 13 octobre et à Mons le 14 octobre, nous « avons eu 34 propositions de publications et 18 vont intervenir sur ces deux jours », conclut le Maître des Conférences.
« En 2016 explose la BD du réel en France », Thomas Alam
Le premier locuteur expose l’angle de recherche sur la BD et la politique, le moment où le regard du lectorat change à travers une politisation de la bulle et du trait où évidemment la caricature politique avait déjà son univers à part. « En 2016 explose la BD du réel en France, la BD non fiction celle du savoir. Elle devient très engagée et nous nous sommes attachés à analyser les titres BD réalisés par des universitaires en sciences sociales », commente Thomas Alam.
En clair, l’association d’un enseignant-chercheur et d’un dessinateur ou illustrateur professionnel n’est pas anodine, un tandem pas toujours simple, quand un intervenant est « fonctionnaire (d’Etat) et un professionnel payé à la production », souligne le conférencier.
Force est de constater que « les stars de la BD ne sont pas plus présents sur ces publications que des jeunes dessinateurs », ajoute Thomas Alam.
« L’art graphique britannique », Brigitte Friant Kessler
Outre-Manche « l’art graphique britannique a démarré avec William Shakespeare », souligne Brigitte Friant Kessler. En effet, il fut le premier à développer une appétence pour la chose politique même si la presse britannique fut pionnière en la matière. Le dessin de presse avec une sérialisation et des images chocs, comme le pouvoir magique de la caricature, font partie du commentaire politique« so british ».
Pas étonnant que le dessin politique est percé bien avant dans ce pays Européen, insulaire, mais terriblement progressiste sur certains points, notamment après un important mouvement à partir de 1867, puis l’action des « suffragettes » dès 1903, les femmes britanniques ont obtenu un droit de vote limité en 1918 et égalitaire avec les hommes en 1928, contre le 28 avril 1945 pour la 1ère fois en France. Tout se tient sur le fond… !
« Mafalda dénonce la violence politique en Argentine », Thomas Richard
En Amérique du Sud, un personnage de BD bouscule la société Argentine, il s’agit de Mafalda, une jeune fille vivant dans un pays écartelé entre démocratie et régime militaire. « C’est de la BD socio-politique avec des personnages très différents autour de Mafalda, ses ami.e.s, sa famille plutôt conservatrice. Mafalda dénonce la violence politique en Argentine et les questions de féminisme », explique Thomas Richard.
L’auteur Quino, mort en septembre 2020, demeure une légende dans la BD socio-politique avec sa Mafalda diffusée entre 1964 à 1973.
« La femme dans la BD », Marys Renné Hertiman
Là également, les femmes autrices sont peu nombreuses dans la BD française. « La femme dans la BD est un véritable sujet avec un collectif de créatrices de BD constitué. Le sexe arrive dans la BD, car l’intime demeure politique », précise Marys Renné Hertiman. Indéniablement, l’intime est plus que jamais une composante de notre vie politique.
D’autres grandes thématiques ont été abordées durant ce colloque sur deux jours comme la BD et son approche de la guerre, plus que d’actualité, la cause animale, sans oublier la critique sociale tous azimuts… ! Qu’on se le dise, la BD ancrée dans le réel est aujourd’hui incontournable.
Daniel Carlier