Polémique à Maing concernant l’enterrement d’un Harki !
Voilà une question de société qui traverse les décennies depuis la fin de la Guerre d’Algérie. Quelle est la place des familles de Harkis arrivées en France à la fin de le Guerre d’Algérie ? Un conflit entre la famille de Mohammed Beghennou, emporté comme des milliers d’autres par la Covid, s’est fait jour concernant l’enterrement du défunt et le maire de la commune de Maing, Philippe Baudrin.
Avant d’évoquer cette tension entre le premier magistrat et la famille d’un militaire de carrière Harki, il faut expliquer qui est cette personne et quel est le Droit communal en la matière.
Après avoir survécu à un conflit armé, à une carrière militaire, son dernier champ de bataille contre la Covid a eu raison de Mohammed Beghennou un 1er mai. Le jour de la Fête du Travail, et justement son emploi était celui d’un militaire de carrière, 35 ans au service de la France, après avoir quitté l’Algérie comme tous les Harkis en 1962, il est nommé en Allemagne, puis dans l’Est de la France, et enfin sur Valenciennes au sein de l’historique caserne Ronzier où il termina sa carrière comme adjudant en 1986. Une République reconnaissante puisqu’en 2002 Mohammed Beghennou a reçu la distinction de Chevalier de l’Ordre national du Mérite.
En parallèle, il est important de savoir que le Valenciennois a accueilli plusieurs communautés de Harkis, notamment sur une résidence construite initialement pour des salariés EDF, la Cité Air et Lumière à Maing. Cela concerne peu ou prou des dizaines de familles sur cette commune de 4 000 habitants environ. Bien sûr, nous sommes en présence de la 3ème ou 4ème génération des soldats harkis morts pour la France.
Ensuite, le Droit communal est très clair sur la question. Le maire a l’obligation d’assurer la dernière demeure à tous les contribuables sur sa commune, l’autre cas de figure est un décès sur le sol communal d’une personne extérieure à la commune, d’où la lourdeur administrative lorsque vous devez faire traverser un corps à travers la France, et enfin si vous êtes extérieur à la commune, mais détenteur d’un caveau communal nominatif pour tous ses occupants. Le terme nominatif est fondamental en la matière, les bénéficiaires sont actés avant.
« Catégoriquement refusé que mon père soit enterré auprès des siens », Slimane Beghennou
Dans les faits, Mohammed Beghennou a habité sur Maing jusqu’à la fin des années 60. Par contre, en 2021 il habitait la commune de Saint-Martin-sur-Ecaillon, mais des membres de sa famille réside sur Maing. C’est pourquoi, l’ancien militaire de carrière avait émis le souhait d’être enterré dans le « Carré musulman Harkis », parmi les siens, au sein du cimetière de Maing.
Son fils, Slimane Beghennou, a réalisé sa demande, en amont du décès, au maire de la commune compte tenu que « le médecin m’avait prévenu que c’était la fin » sauf que dans ce temps de douleur familiale, rien ne se passe comme prévu… : « Monsieur le Maire de Maing a catégoriquement refusé que mon père soit enterré auprès des siens dans le carré musulman du cimetière de Maing ». Ensuite, l’édile a consenti à cet enterrement avec une cérémonie le 04 mai dernier.
« Le cimetière sera très prochainement plein », Philippe Baudrin
Après de nombreuses discussions entre des ami.e.s de la famille et le maire, Philippe Baudrin a consenti ce dernier voyage dans le cimetière de Maing. « J’ai subi des pressions de toutes parts durant plusieurs jours. Clairement, Monsieur Beghennou habitait Saint-Martin-sur Ecaillon, je suis dans mon bon droit, mais compte tenu de son statut d’ancien combattant, j’ai consenti à une dérogation », commente Philippe Baudrin.
Outre le Droit stricto sensu, Philippe Baudrin s’appuie sur une réalité plus factuelle. « Le cimetière sera très prochainement plein, nous n’avons plus de places dans ce cimetière pour tous les Maingeoises et Maingeois dont les familles harkis évidemment ». Pour remédier à ce problème, la ville a acquis une pâture attenante « où là également, nous ne faisons pas ce que nous voulons », poursuit-il.
Placé en veille sur la Politique de la Ville « donc plus le Droit à rien de l’Etat », le maire fustige un abandon « nous ne sommes pas aidés, ni accompagnés par l’Etat. Pourtant, ils savent très bien que nous avons un carré Musulman réservé aux Harkis dans le cimetière de Maing », assène le maire.
« Comme professeur d’Histoire, Philippe Baudrin ne peut ignorer les Harkis ! », Slimane Beghennou
Ensuite, le refus ne s’est pas arrêté là. « Monsieur Baudrin a également refusé avec véhémence que ma mère puisse lors de son décès rejoindre mon père dans le caveau familial, en superposé pour ne pas occuper trop de place », précise Slimane Beghennou. Compte tenu de son passé militaire honoré, cette situation s’avère compliquée sur une commune où les familles issues des rapatriés Harkis sont nombreuses. Beaucoup d’entre eux ont déjà manifesté leur intention de choisir Maing comme dernière demeure. On le sait, aucun harkis ne peut se faire enterrer dans leur pays d’origine malgré les accords d’Evian en 1962.
A ce commentaire, le Professeur d’histoire répond : « Une personne pour une place, cela n’est plus possible. Il n’y aurait aucun problème pour un caveau nominatif pour tous les occupant.e.s. D’ailleurs, dans certaines occasions, il y a des caveaux communs pour les musulmans. J’ai rencontré des familles de harkis samedi dernier. Ils voudraient que je leur dise que tous les descendants d’un soldat harki pourraient venir se faire enterrer sur Maing, c’est irréalisable ! ».
Pour Slimane Beghennou, cette attitude de l’édile de Maing est « inadmissible dans une République. Monsieur Baudrin a oublié ses leçons. Pourtant, comme professeur d’histoire, Philippe Baudrin ne peut ignorer celle des Harkis ! Monsieur Baudrin ne maîtrise pas la notion de laïcité. Cette dernière n’interdit en aucune façon la pratique d’un culte. Elle permet d’ailleurs à toutes et à tous son choix, ou non, sur le volet cultuel », assène Slimane Beghennou.
« Il faut que chacun y mette du sien », Philippe Baudrin
Sur un ton plus consensuel, le maire cherche une sortie positive. Il balaye du revers de la main toute idée hostile….« je respecte les Harkis, je les défends pour tout ce qu’ils ont fait pour la France. Ce n’est pas le sujet ». Par contre, il revient sur la réalité occupationnelle du cimetière. « Il faut que la raison l’emporte. Il faut que chacun y mette du sien et nous pourrons trouver des solutions ensemble », conclut Philippe Baudrin.
C’est un problème du quotidien pour un maire en France avec une forte communauté Harkis sur son sol, le sens de la mémoire collective, de la reconnaissance d’un pays d’accueil pour l’avoir servi dans le temps long, une histoire d’un village français entre le Droit et les obligations d’un maire et le devoir de mémoire collective !
Daniel Carlier