Eric Bocquet : « L’évasion fiscale est un sujet commun »
L’évasion fiscale a depuis quelques années une nouvelle résonance dans notre corpus sociétal, comme si cette coutume sortait un peu de sa confidentialité, celle qui ne dérangeait pas, celle dont on ne parle que dans les couloirs feutrés, celle qui semblait si lointaine. Eric Bocquet, sénateur communiste, est intervenu sur cette thématique dans le cadre du « Festival de l’Humain d’abord 59 », organisé par le Parti Communiste Français 59 à Wavrechain-sous-Denain.
Eric Bocquet : « Il y a un véritable enjeu sur le chiffrage de l’évasion fiscale »
Cette conférence s’inscrit dans le prolongement du livre SDF (Sans Domicile Fisc) d’Alain et Eric Bocquet, sous la plume de Pierre Gaumeton. « Nous sommes proches de la centaine de débats, dans 45 départements, dans tous les milieux, et pas seulement dans le giron politique, mais également dans le cercle des entreprises, même Monseigneur Garnier à la maison diocésaine de Raismes, chez les Francs-Maçons, etc. », précise Eric Bocquet, sénateur communiste.
« Impôt juste, progressif, et que personne n’y échappe », Eric Bocquet
Cette prise de conscience fiscale a pris un nouveau tournant avec l’affaire Cahuzac, mais aussi à travers une actualité comme le siège de Renault/Nissan aux Pays-Bas, les GAFA, etc. « Je suis ravi que le mouvement des Gilets Jaunes ait mis en avant la justice fiscale. Il a porté aussi la problématique des paradis fiscaux. A tel point que le Président de la République a évoqué ce sujet durant sa conférence de presse », souligne le sénateur. On l’a compris, ce sujet ne peut plus être ignoré par la classe politique, il fait même consensus. Par contre, les remèdes sont un autre dossier bien plus complexe.
Le sentiment partagé de ces derniers mois est simple à résumer. « Cet impôt juste, progressif, et que personne n’y échappe. L’évasion fiscale est un sujet commun », souligne Eric Bocquet. Cela devient de facto le cheval de bataille collégial tant les paradis fiscaux agrègent l’hostilité des citoyennes et des citoyens.
Le sénateur effectue un bref rappel des grandes masses financières : « La France génère 300 milliards de recettes par an, et dépense 380 milliards d’euros. Nous votons chaque année un budget en déficit entre 72 et 80 milliards. Le dernier budget à l’équilibre fut en 1974. Aujourd’hui, la dette de la France est de 2 300 milliards d’euros même si la France produit le même montant annuel en terme de richesses ».
Dans cette optique, Emmanuel Macron a confié à la Cour des Comptes la pesée de cette évasion fiscale. « L’Etat essaye de minimiser. Il y a un véritable enjeu sur le chiffrage de l’évasion fiscale. Pourtant, tous les organismes, ONG, spécialistes en économie etc. ont estimé cette fourchette annuelle entre 60 et 100 milliards d’euros d’évasion fiscale. Nous verrons le rendu de la Cour des Comptes à l’automne », poursuit Eric Bocquet. En tout cas, concernant la dette de la France, le Rassemblement National prête une oreille attentive à Steve Bannon, un ancien de la banque d’affaires Goldman Sachs chez qui nous avons tous un compte puisque cette banque spécule, entre autres, sur la dette des Etats… !
Au niveau de l’Europe, l’estimation de l’évasion fiscale est à hauteur de mille milliards d’euros « dont tous les états membres sont victimes. C’est six fois le budget de l’Europe, il n’y aurait plus de problèmes de financement sur beaucoup de sujets », ajoute le sénateur.
La liste des pays absents
Déjà au niveau européen, cette nouvelle mandature pourrait redéfinir la liste des pays catalogués comme « Paradis Fiscal ». « Aucun pays européen n’est sur cette liste, ni Jersey, Guernesey, île de Malte où vous pouvez acheter votre nationalité pour 150 000 €, etc. D’ailleurs, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, ex 1er ministre du Luxembourg n’a eu de cesse de faire des cadeaux fiscaux aux grands groupes, c’est d’une hypocrisie absolue. L’Europe s’installe dans une compétition effrénée sur le sujet fiscal (Irlande, îles britanniques etc.) », assène Eric Bocquet.
Nous verrons donc de visu la nouvelle inclinaison du Parlement européen. Il est temps que les choses bougent, car les populations n’en peuvent plus de cette évasion fiscale acceptée comme une fatalité, une composante de notre système social, c’est un mensonge éhonté !
Concernant le Brexit, le sénateur n’est pas très optimiste : « La City à Londres demeurera la 1ère place financière du monde (avec New-York), et la transparence sera encore plus difficile ». Pour autant, les britanniques restent soucieux de l’affichage planétaire. La perspective de se voir pointer du doigt comme l’espace mondial de la dérégulation financière pourrait freiner quelques velléités dans le domaine ; l’éthique et l’orgueil de la couronne britannique au delà des mers, dans le Commonwealth notamment, pourraient peser dans la balance.
« Nous déposerons un amendement au budget pour la création de cet observatoire », Eric Bocquet
Enfin, un sujet piquant et intéressant avec la fameuse loi du 23 octobre 2018 « Lutte contre la fraude fiscale » prévoyant un observatoire de l’évasion fiscale. Sauf que Gérald Darmanin, Ministre du Budget, se plaint en 2019 de ne pas trouver de président pour le dit observatoire. « Je me suis donc proposé pour cette présidence. Après consultation du Président du Sénat, il m’a confié que c’était possible pour six mois dans le cadre d’une mission officielle proposée par le Gouvernement », explique le sénateur.
Entre temps, Emmanuel Macron confie cette évaluation à la Cour des Comptes durant sa Conférence de presse, post Grand débat national. « Le sujet n’est pas enterré, cet observatoire peut prendre la suite des conclusions de la Cour des Comptes. A cet effet, nous déposerons (Groupe PCF au Sénat) un amendement au budget 2019 pour la création de cet observatoire. Nous verrons bien si le Ministre accepte celui-ci ! », conclut Eric Bocquet.
A quelques jours des commémorations du débarquement de Normandie, rappelons que l’histoire nous interpelle sans cesse sur les comportements des acteurs de la finance mondiale. Après tout la Suisse accueillait tous les capitaux quel que soit leur origine durant la seconde guerre mondiale, et ceux des nazis bien sûr, la Suisse surnommée « l’agent financier du IIIème Reich » dans un article du quotidien Libération en 1997. On n’oublie pas non plus certains supporters célèbres d’Adolphe Hitler comme l’industriel Henry Ford, le grand constructeur américain de voitures décoré par l’ordre Nazi, pour son soutien financier au régime sans même parler, livre à l’appui, de son antisémitisme assumé. Quelle révolution, quelle populisme vont financer demain les grands évadés fiscaux, pays, grands groupes mondiaux, dont les GAFA, et les grandes fortunes… ?
« Il n’y as pas de frontière pour la circulation de l’argent. Un transfert de flux financier s’effectue en pictoseconde (0, 12×0 et 1) », mentionnait Eric Bocquet. Aujourd’hui, c’est une série de pictogrammes avec un fléchage en gros caractère des paradis fiscaux, zone Amérique, zone Asie, Europe, qui serait nécessaire aux politiques de la Planète, histoire de changer le climat à tous les niveaux !
Daniel Carlier