Tout comprendre de la saga du Brexit au MIH
Durant deux jours au salon Made In Hainaut, les conférences se sont enchaînées. Pourtant, l’une d’entre elles était particulièrement attendue sur la situation en Grande-Bretagne , « Brexit : Les enjeux des négociations ». Cette dernière fut distillée par Jean-Christophe Donnellier- Ministre conseiller pour les affaires économiques, chef de service économique régional pour la zone Irlande-Royaume Uni (visuel des élus communautaires à l’inauguration du MIH).
Jean-Christophe Donnellier : « D’abord, Théresa May était une Remainer (maintien dans l’Union européenne), et pas une Brexiter (sortie de l’Union européenne) »
Juin 2016, un référendum en Grande-Bretagne a défrayé la chronique européenne, voire mondiale, en aboutissant au choix d’une sortie de l’Union européenne, le fameux Brexit. Outre les partis politiques traditionnels, les conservateurs et les travaillistes, deux nouveaux camps transversaux ont émergé sur ce sujet très insulaire par essence, celui des Brexiters pour la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, et les Remainers pour le maintien. « D’abord, Théresa May était une Remainer (maintien dans l’Union européenne), elle a voté pour le maintien dans l’Europe, et ce n’est pas une Brexiter (sortie de l’Union européenne). De plus, beaucoup de politique interne rentre en ligne de compte », lance Jean-Christophe Donnellier. Difficile d’être plus en phase avec l’actualité d’une conférence puisque Thérésa May a démissionné pendant cette dernière à l’horizon du 7 juin prochain.
« Thérésa May a manqué toutes les opportunités durant son mandat », Jean-Christophe Donnellier
La conférencier n’est pas tendre avec la 1ère ministre. Toute l’histoire que nous allons balayer passe par ce choix. Le peuple britannique vote à 52% contre 48% pour la sortie de l’Union européenne, les Brexiters durs se défilent un à un pour mener à bon port ce choix démocratique, comme Boris Johnson, et le nouveau premier ministre choisi est Thérésa May. Elle n’aura de cesse de trouver la meilleure solution, à ses yeux, sans rompre totalement la digue avec le continent. Plus encore, elle a eu quelques fenêtres de tir, certes étroites, mais « Thérésa May a manqué toutes les opportunités durant son mandat. Théresa May n’a pas su élaborer un Brexit intelligent et rassembleur », assène-t-il.
Si bien qu’aujourd’hui, à la question du journaliste Pierre Gaumeton, Jean-Christophe Donnellier répond par l’interrogation. « Le Brexit inéluctable, on ne peut pas le dire. Cette situation symbolise une longue descente aux enfers de la classe politique britannique. Personne n’a su construire une suite au « Non » du Brexit afin de trouver un consensus acceptable. Toutefois, il faut signaler que c’est un dossier perdant-perdant ! ».
« D’accord sur 95% du Brexit », Jean-Christophe Donnellier
Le plus troublant est qu’un deal est sur la table, 600 pages, où les différents négociateurs sont « d’accord sur 95% du Brexit, c’est une négociation réussie. Toutefois, il reste 2 blocages majeurs, la situation de la frontière irlandaise, le maintien ou non avec l’Union douanière, ce fut un peu le fil de Thérèse May en voulant bénéficier de l’Union douanière sans aucune contrainte en contrepartie », commente Jean-Christophe Donnellier. En effet, le fameux backstop irlandais permet de ne pas figer une nouvelle frontière en dur, car tout le monde a conscience « qu’un retour de la guerre civile est possible. Par contre, ce choix maintient l’Union douanière en Irlande, et par ce biais le Droit européen. Cette disposition est insupportable pour les Brexiters ! Mais quelle autre solution est possible ? C’est la seule ! », déclare le conférencier.
En clair, les deux seuls points sur lesquels les parlementaires d’outre-manche sont en phase sont : pas de No-Deal (pas de sortie sans accord), et pas de révocation de l’article 50 permettant à la Grande-Bretagne de faire le choix de la sortie de l’Union européenne.
« La date du 31 octobre a perdu de sa crédibilité (depuis la démission) », Jean-Christophe Donnellier
Le factuel est fondamental dans tout ce processus de négociation, l’horloge tourne avant le report au 31 octobre 2019 obtenu par Thérésa May auprès de l’Union européenne sauf que… ! « Elle va démissionner le 07 juin, son successeur prendra ses fonctions fin juillet. Il n’aurait donc que trois mois pour réussir ce que Théresa May n’a pas pu faire en 2 ans et demi ! La date du 31 octobre a perdu de sa crédibilité (depuis la démission). Pour moi, c’est l’incertitude la plus totale », assène Jean-Christophe Donnellier.
Par contre, l’ombre d’un Brexit dur est de plus en plus prégnante. « Boris Johnson peut être choisi pour le Brexit dur, même si sa majorité est fragile, mais il peut aussi être plus souple. Un autre candidat se profile avec Jérémy Hunt, actuel secrétaire d’Etat aux Affaire étrangères », commente le Ministre.
La situation au Royaume-Uni
A cette heure, le Royaume-Uni connaît le plein emploi, 3,5% de taux de chômage, et les salaires sont en hausse. « C’est la consommation qui tient l’économie anglaise, je pense que cela peut durer encore longtemps. Pourtant, le problème est que l’investissement est au plus bas depuis 15 ans. La livre a beaucoup baissé (environ 15%) avec une hausse du coût des importations. C’est l’explication de la mise en Sauvegarde du Groupe British Steel (principal client d’Ascoval). En cas de Brexit dur, les problèmes sur les transports des deux cotés du Corridor (Douvres-Calais, 80% du trafic) seront importants même si en France, il y a eu un travail énorme en amont au niveau de la douane. Vous êtes prêts. Par contre, les Britanniques le sont moins, mais peut-être le 31 octobre ou plus tard », précise-t-il.
Quelques indicateurs sur le tremblement de terre d’un effet Brexit dur sont éclairants. « Au ministère de l’Agriculture, ils ont embauché 3 000 personnes de plus afin de travailler sur ce Brexit. Pour les autres ministères où le recrutement n’était pas possible, on a déplacé des effectifs dédiés au Brexit exclusivement », précise-t-il. Oui, sur une île où 70 % du panier alimentaire vient du continent, le problème est au delà de toutes les craintes des insulaires. Quid de la défense européenne également ? Le dispositif Erasmus dont le succès ne se dément pas en Europe s’arrêtera avec le Brexit dur, c’est inéluctable ! Enfin, la taxation douanière sera de retour comme pour un pays tiers avec en corollaire « le retour probable du Duty free », précise-t-il
La City
La Place financière de Londres est connue mondialement. En l’occurrence, sur ce point l’Union européenne a de suite tranché dans le vif du sujet. Sur 150 000 personnes travaillant encore sur la City…« les Traders à Londres n’auront plus le passeport financier. Il y a eu une première vague de départ de 5 000 Traders, avec un gros pouvoir d’achat, pour Berlin, Amsterdam, Dublin, et Paris où officieusement 2 000 pourraient venir. Par contre, il est probable que le City conserve cette exigence d’un comportement irréprochable afin de ne pas devenir la place financière de la dérégulation », précise le locuteur. Ce serait préférable, car le principe des îles Caïman… Outre-Manche serait une déclaration de guerre à l’Union européenne pure et simple !
Le fond de l’échec
Enfin, s’il faut trouver une explication rationnelle à cet échec de Thérèse May. Il est important de souligner la position de l’Ecosse, férocement pour le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne. « La position des 45 parlementaires écossais explique (partiellement) les choix de Théresa May. Elle ne voulait pas ouvrir la porte à un nouveau référendum, et à un démantèlement de la Grande-Bretagne avec le départ de l’Ecosse », explique Jean-Christophe Donnellier.
Voilà, le maintien de l’unité du Royaume-Uni explique les remous d’une politique interne très clivante, et totalement déstabilisante dans le cadre d’une négociation avec 27 pays, tiers pas encore, mais cela ne pourra pas durer éternellement. L’histoire de cette saga inédite dans l’histoire contemporaine sera immanquablement la boussole de l’Union européenne durant les prochains mois.
Toutefois, en terme de politique interne, God save The Royaume-Uni, rien n’est moins sûr concernant le volet de l’unité de nos meilleurs amis dont le divorce géographique est assumé avec le Continent depuis la nuit des temps. Si après après demain, vous avez l’Ecosse indépendante, une guerre civile en Irlande, et un nouveau duo isolé Angleterre/Galles, il faudra réfléchir au non respect du vote en 2016 des Britanniques à travers le choix de Thérèse May comme Premier ministre, une Remainer… afin de mener cette négociation. La volonté du peuple dans tout cela, est-elle respectée ? L’excuse brandit comme un passeport sur la série de mensonges avancée, et avérée, durant cette campagne de 2016 en Grande-Bretagne n’est pas suffisante ! Un Brexit dur rapide eut été peut-être le seul moyen de conserver une unité politique insulaire, car au niveau populaire, elle est divisée à jamais !… Enfin, personne n’est devin sur le sujet of course !
Daniel Carlier