Les conséquences de la loi ELAN pour SIGH, ses salariés, et ses locataires
Le logement social demeure un problème endémique en France avec, à l’instar de la population, un parc de l’habitat social vieillissant. Dans ce cadre corseté, en novembre 2018, la loi ELAN est arrivée avec son lot de surprises. Et comme dans une série américaine, dans un épisode précédent en 2016, le rapprochement de V2H et de la S.A du Hainaut a initié un bouleversement structurel sur le Valenciennois dans la gestion du logement social (visuel Pierre Tonneau, président du Directoire de la SIGH).
(Marie-Claude Wadin, Emile Vandeville, et Joel Agogué )
Quel est l’avenir du logement social en France ?
A la fin de la trêve hivernale (le 31 mars), la CGT Valenciennes a choisi de communiquer sur les inquiétudes de certains salariés (425-431 CDI/CDD en 2019) de la SIGH sur le volet territorial, mais également sur l’impact de la loi ELAN chez les bailleurs sociaux. De la loi incomprise naît le questionnement… !
Deux chiffres sont clés afin de prendre la mesure du logement social dans le quotidien du citoyen. Un logement sur cinq est énergivore dans la parc de l’habitat social français, et de l’autre la Fondation Abbé Pierre, dans son rapport annuel sur le Mal-Logement, estime à 15 millions de personnes touchées, à un titre ou à un autre, par la crise du logement.
Sur le volet local, la fusion entre la S.A du Hainaut et de V2H est adoubée par le syndicat CGT, et des salariés SIGH présents, car le choix était simple. « Nous n’avions pas envie de partir travailler sur Lille. Cette fusion s’est bien passée pour les salariés entre V2H et la S.A du Hainaut, une négociation aboutie », indique une salariée de SIGH.
Dans le paysage des bailleurs sociaux, la SIGH pèse entre 29 000 et 30 000 logements à la fois sur le Valenciennois, le Lillois et l’Arrageois, sachant que le portefeuille du littoral a été cédé. Sur ce territoire, c’est 7 414 logements sur la Porte du Hainaut, et 14 540 sur Valenciennes Métropole. De facto, la SIGH est le 1er bailleur social sur les 35 communes de la CAVM devant Maisons et Cités (3 207 logements), et OPH du Nord (2 498 logements) sur 14 bailleurs au total.
« La loi ELAN va tuer à moyen terme le logement social en France », Emile Vandeville
Sur le volet national, le commentaire est beaucoup plus acerbe dans un contexte de paupérisation tangible. « Nous voyons aujourd’hui des retraités dans les dossiers de surendettement », commente Emile Vandeville, et dans la suite logique « des retraités qui ne sont plus en capacité de payer leurs loyers. D’habitude, les retraités étaient les meilleurs payeurs ! Là, ils ne peuvent plus », ajoute une salariée chez SIGH. Un problème de fond se pose… « la loi ELAN va tuer à moyen terme le logement social en France », déclare Emile Vandeville.
« Le maire a dorénavant un avis consultatif », Pierre Tonneau
Pour sa part, Pierre Tonneau, président du Directoire de la SIGH, explique : « Le modèle du financement du logement social change. L’Etat n’a plus les moyens… ». Par contre, ce dernier bouscule quelques idées reçues. « Nous pouvions vendre déjà nos biens avant la loi Elan. Le gros changement est que le maire a dorénavant un avis consultatif », poursuit-il. En effet, les propositions de vente de biens d’un bailleur social passe, dans le Hainaut, encore en Conseil municipal avec des refus… commentés ! Pour autant, les bailleurs sociaux sont diplomates et se plient à l’avis des gouvernements locaux, mais n’ont aucune obligation de le faire compte tenu de la loi ELAN.
Autre sujet de tension, le volume de vente de la SIGH aurait augmenté drastiquement depuis la loi ELAN ! Le président du Directoire monte au créneau. « Non, avant la loi ELAN, nous avions un plan programmé de 1 800 logements à la vente. Dans le cadre de cette loi, nous avons augmenté ce stock de 1 200 autres logements, soit au total 3 000 logements identifiés à la vente. Par contre, ce programme est établi sur 20 ans, soit 150 par an… Nous passons donc en 2018 de 109 à 150 ! », répond Pierre Tonneau à ces inquiétudes légitimes par ailleurs compte tenu du battement médiatique à chaque conseil municipal où le sujet d’une vente arrive sur la table… !
Les garde-fous des intercos du Valenciennois
Bien sûr, la bonne gouvernance est la concorde. C’est pourquoi, Pierre Tonneau a choisi de négocier avec les deux intercommunalités. « Pour Valenciennes Métropole, j’ai rencontré Jean-Marcel Grandame qui m’a indiqué que plus aucun logement classé « E-F-G (passoire thermique)» ne serait à la vente. Ensuite, comme indiqué en Conseil municipal, Alain Bocquet, pour la Porte du Hainaut, s’insurge contre la vente de logements dans un collectif d’un bailleur social. Dans cette optique, nous avons rectifié notre stock sur la CAPH avec uniquement des habitats individuels à la vente. Je ne passerai jamais en force sur le sujet. Pour autant, j’irai dialoguer avec les élus si un locataire veut devenir propriétaire», précise Pierre Tonneau.
Pour rappel, la vente d’un habitat social est d’abord proposé à l’occupant, ensuite pendant 2 mois aux locataires du parc social SIGH, puis dans le réseau classique si aucune proposition n’est intervenue.
Le 10% PMR
Toujours dans cette loi ELAN, un article a explosé médiatiquement à l’automne dernier, celui de la fin de l’accessibilité universelle du logement social. Aujourd’hui, un bailleur social doit réserver 10% (au lieu de 100%) de son parc aux PMR. Pour le reste, l’adaptation immédiate d’un logement aux normes PMR suite à un accident de vie… devient la norme. La problématique est criante dans le parc existant. Philosophiquement, cet article n’est pas choquant, même Axel Kahn, lundi dernier à l’Université Polytechnique Hauts-de-France, soulignait que cette disposition était audible… si l’immédiateté était au rendez-vous ! La problématique est là.
Joel Agogué, membre de la commission d’attribution des logements à la SIGH, relate : « Récemment, un locataire m’a expliqué son parcours du combattant avec la SIGH pour obtenir une réponse pour le changement d’un sanitaire PMR. Pour autant, le dialogue est constructif avec la SIGH, nous obtenons des choses du bailleur social ».
Opinion que Pierre Tonneau valide sans le dire…. : « Notre intervention sera toujours tributaire de notre capacité financière ». Mécaniquement, une mesure financière instillant une souplesse dans la construction de logements sociaux se heurte à la capacité à recevoir une doléance humaine au niveau de l’adaptabilité PMR. Pour reprendre un slogan d’un parti politique bien connu, « l’ Humain d’abord », sur ce point précis, l’humain est laissé sur le bord de la route… !
Les moyens financiers des bailleurs sociaux
Si la réduction des APL fut sur le devant de la scène, la ponction par l’exécutif national dans les caisses de chaque bailleur social fut moins spectaculaire, mais très concrète. « Sur mon budget final 2018, l’Etat a ponctionné 6 millions d’euros. Globalement, il me restait pour 2018 en autofinancement 4,6 millions d’euros, soit 3,3% des loyers », constate Pierre Tonneau.
Evidemment, des choix budgétaires découlent de cette diminution de ressources. « Nous diminuons notre programmation sur la construction de logements neufs. Nous avons décidé de privilégier la réhabilitation lourde », ajoute-t-il.
Un choix qui est tout sauf le fruit du hasard puisque sur le parc d’environ 30 000 logements sociaux chez SIGH, tout territoire confondu, vous avez 4 200 habitats classés en « E » et 2 000 en « F,G ». « C’est pourquoi, la réhabilitation sera notre priorité. Nous visons 450 logements réhabilités par an », ajoute-t-il. Sur la ventilation de ces logements, et des occupants en souffrance… « elle n’est pas supérieure chez l’ex V2H que sur la S.A du Hainaut », souligne Charles Gouzon, en charge de la communication chez SIGH. Sur ce point, des salariés proches du dossier, soutiennent que la parc V2H est nettement plus dégradé. La vérité est sans doute dans le degré de dégradation…
A ce sujet, le ressenti d’un locataire est tout aussi dévastateur que la réalité d’un mal-logement. « Je suis là depuis septembre 2017. Après une fusion, j’ai lancé une réorganisation. Nous sommes passés de 6-7 antennes à 13 antennes dès septembre 2019 avec au maximum 3 000 logements. Je vise plus de proximité. Nous avons 4 secteurs avec un responsable dédié, et l’objectif est d’améliorer notre temps de réponse aux réclamations techniques (petites interventions). Actuellement, il est de 70% à 30 jours. Nous voulons passer à 80% à 30 jours », ajoute Pierre Tonneau.
En local, la réhabilitation des logements chez SIGH se doit d’être au rendez-vous. L’épisode rue des Pivoines, à Onnaing, est très symptomatique de cette attente insupportable. « J’ai adressé un courrier au maire le 26 mars dernier pour lui confirmer les travaux sur Onnaing dès juin 2019 », souligne le président du Directoire de la SIGH.
La mutualisation, de qui parle-ton chez les bailleurs sociaux ?
La mutualisation, le mot est lâché. Il fait peur, inquiète, car « nous redoutons une expansion sur d’autre territoires, des moyens financiers alloués ailleurs que sur le Valenciennois afin de construire du neuf etc. Aurons-nous encore les moyens de notre réorganisation ? », explique une salariée de SIGH. « Mais où va être le centre de décision ? », ajoute Emile Vandeville. Ensuite, la petite musique d’une fusion avec la SIA plane dans le couloir des rumeurs de proximité.
Pierre Tonneau répond : « Le siège social est à Valenciennes et restera (Bd Saly) à Valenciennes. Ensuite, aucune fusion n’est à l’ordre du jour, notamment avec la SIA». Par contre, la loi ELAN trace les contours d’une réduction des moyens de l’Etat dédié au logement social. La traduction locale est assez limpide… « nous lançons la construction de l’Ilot Palace, rue du Quesnoy à Valenciennes, avec comme financement 4,6 millions d’euros, 2,1 millions de fonds propres, et 2,5 millions d’euros d’emprunt »… alors que ce projet fait partie d’un programme d’Etat (PNRQAD-programme national de requalification des quartiers anciens dégradés) avec comme maître d’ouvrage Valenciennes Métropole !
Toujours dans cette lignée, une précision de taille est apportée par Charles Gouzon : « Aucune fonction support ne sera mutualisé avec un autre bailleur social ».
Pour autant, et toute la nuance est là. « Je ne m’interdis pas de collaborer sur un dossier avec la SIA. Pour cela, je me pose deux questions, est-ce utile pour le locataire ? Est-ce financièrement possible ? », précise Pierre Tonneau. Cette remarque participe logiquement à cette rumeur sur une mutualisation potentielle. D’autant plus qu’aujourd’hui, l’actionnaire principal de la SIGH est la Caisse d’Epargne à hauteur de 51%. Demain, ces différents bailleurs sociaux du Valenciennois feront partie du même HER (Habitat en Région https://www.habitat-en-region.fr/) née par l’émergence de la loi ELAN. L’habitat social était complexe avant la loi Elan, et après indubitablement.
Et demain ?
Maintenant, même les plus fins limiers du logement social, malgré une campagne de messages subliminaux sur la révolution nécessaire, ont été surpris par la loi ELAN à travers plusieurs articles. Il ne serait pas étonnant demain qu’une nouvelle grille de lecture se profile en terme de gouvernance, et pas seulement !
Daniel Carlier