Une Programmation Pluriannuelle de l’Energie qui hérisse la filière du Gaz Vert !
On peut affirmer sans peur de se tromper que le passage du Ministre d’Etat, François de Rugy, aux Assises de la Transition énergétique, fin janvier à Dunkerque, a laissé des traces. En effet, l’ensemble des acteurs du Gaz Vert a répondu hier matin aux gouvernants avec une volonté farouche de changer la couleur de l’encre finale concernant le dit décret d’application.
Philippe Vasseur, Président de Rev 3 : « Nous sommes (très) inquiets suite au projet de PPE exposé par François de Rugy »
Parfois, une loi, voire en l’occurrence un projet de décret, sont diversement appréciés de l’amont à l’aval d’une filière, ce qui laisse une marge de manoeuvre à l’exécutif. Là, l’exploit du Ministre de la Transition écologique et Solidaire fut de fédérer contre son PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Energie) l’ensemble des acteurs du « Gaz Vert » !
Concrètement, deux axes de ce PPE consternent les opérateurs du « Gaz Vert ». « Le gouvernement réduit son objectif de Gaz Vert à l’horizon 2030, de 10% à 7%. Ensuite, il demande une baisse du coût de production dans cette filière de 30% d’ici 2023 ! », expose Phillipe Vasseur. A la question claire « Pourquoi ? » émise par les acteurs de terrain, une réponse presque aussi limpide « parce que », répond Philippe Vasseur. En résumé, personne ne comprend.
Faut-il le rappeler, sous l’impulsion du CORBI (Collectif Régional Biométhane), la région des Hauts-de-France affiche des ambitions élevées dans la filière du biogaz injecté. « C’est la première de France dans ce domaine avec onze unités de biogaz injecté en exploitation, sept en cours de réalisation en 2019, et potentiellement 42 fin 2020 », explique Philippe Vasseur.
Le président de la REV 3 poursuit : « Pourtant, nous avons eu une grande concertation en amont, un grand débat public du 19 mars au 30 juin 2018 sur ces sujets. Visiblement, il n’est pas tenu compte de nos réflexions au sein de ce débat. Nous allons tout faire pour changer les conditions d’application de ce décret, puisque ces mesures, selon la loi votée en 2015, passe par un décret ». Bien sûr, une petite pique sur la prise en compte du futur rendu du Grand débat national n’a pas manqué à l’appel, normal !
Le planning de ces mesures du PPE présenté le 25 janvier dernier comprend trois mois de concertation publique, plus un mois de contribution en ligne, ce qui laisse techniquement quatre mois aux acteurs de la filière « Gaz Vert » pour changer la donne.
« Assez étonné de cette PPE, le futur décret (en l’état) aurait un impact négatif sur cette filière », Jean-Jacques Dubois, Président AFG Hauts-de-France
Egalement en responsabilité régionale chez GRDF Hauts-de-France, Jean-Jacques Dubois rappelle que « 99% de gaz utilisé en France est importé aujourd’hui. Nous sommes passés du gaz noir, au gaz bleu importé, et nous souhaitons passer au gaz vert local. J’ai l’impression que l’on veut opposer le gaz, une énergie stockable, et l’électricité. Si l’Etat veut 100 % de véhicules électriques, il faut revoir à la hausse le parc nucléaire. Sur le volet mobilité, nous considérons que pour le dernier kilomètre, la voiture électrique s’impose, pour tout le reste, les véhicules au gaz, l’hydrogène (voire mélange gaz/hydrogène), ont leur pertinence », lance-t-il.
La volonté partagée par tous les parties est la mise en oeuvre d’un mixe énergétique. « A l’horizon 2050, nous devrions produire 43% d’énergie électrique, 30 % de gaz biométhane, et 6% de fuel, car il restera toujours des poches résiduelles plus difficilement accessible. Pour atteindre nos objectifs, on prépare les choses dès aujourd’hui », précise-t-il.
Pour autant, la réalité de terrain impose une prise en compte d’une filière naissante sur le biométhane. « Nous pouvons atteindre cette réduction de 30% du coût de production, mais pas avant 2030 », précise Jean-Jacques Dubois.
« L’ADEME estime à 11 000 emplois dans la filière gaz vert en 2030 », Philippe Vasseur
La perspective de développement de cette filière « Gaz Vert » est important sur plusieurs aspects. D’abord, l’ambition ne s’arrête pas à l’ancien objectif de 10% de gaz vert d’ici 2030, mais à un taux de 30%. « De plus, ces unités de méthanisation sont construites avec de la main d’oeuvre du bassin local, avec de la création d’emplois non délocalisables. En 2018, cela représente environ 800 emplois. En 2030, l’ADEME estime à 11 000 emplois dans la filière du gaz vert », précise Philippe Vasseur.
« Le monde agricole est en colère », Christophe Buisset
Furibond, le porte-voix du monde agricole dans la 3ère région française pointe du doigt : « Le monde agricole est en colère. Il faut produire de l’énergie dans ce pays. Cette filière est jeune, ce PPE va casser les projets d’installation d’agriculteurs, en partenariat de plus en plus souvent avec les collectivités territoriales. Un dossier de réalisation d’une unité de méthanisation met déjà trois ans.. », indique Christophe Buisset, Président de la Chambre régionale d’Agriculture des Hauts-de-France.
En effet, ce PPE dans l’aspect opérationnel lance quelques bombes. « Elle supprime le tarif réglementé, et impose deux appels d’offres par an avec un tarif connu au bout de deux ans. Cela sera très compliqué pour construire un Business Plan sans indiquer au monde bancaire le montant des recettes ! La baisse des coûts de production ne peut s’envisager (massivement) avant l’amortissement des unités de production de méthane », commente Christophe Buisset.
Trop tôt pour une réaction du monde bancaire, mais quelle sera la réaction de la BPI, du Crédit Agricole, pour ne parler que de quelques financeurs reconnus ? A savoir qu’un dossier d’une petite unité de méthanisation nécessite un montant de 3 à 4 millions d’euros, et de 7 à 8 millions d’euros pour une exploitation plus importante, nous ne parlons pas d’un emprunt à la marge… !
« Certes, je comprends qu’à terme cette filière ne bénéficie plus d’aide publique compte tenu de l’état des finances publiques. Par contre, on ne peut pas demander une autonomie économique à cette filière, et aller trop vite en risquant de la tuer », conclut Christophe Buisset.
« Trop vite, trop fort, en éludant les externalités positives », Philippe Vasseur
S’il fallait résumé cette passe d’armes, Philippe Vasseur a synthétisé le blocage. « Trop vite, trop fort, en éludant les externalités positives. Cette baisse des coûts de production est trop rapide, l’absence d’un tarif précis pour le montage financier constitue un blocage, et enfin on ne parle pas des effets positifs collatéraux sur l’emploi local, l’environnement etc. », ajoute Philippe Vasseur.
Toutefois, rien n’est joué ! Le prochain Salon de l’Agriculture sera le théâtre d’un coup de pression sans se cacher par les acteurs de la filière. « Je sais que le mot lobbying a mauvaise presse, mais nous allons en faire », conclut-il. Nul doute que les quatre mois avant la rédaction définitive de ce décret d’application seront riches en réunions sur cet item. Loin d’une affiche grand public, l’anonymat des coulisses serait peut-être plus propice à une concertation positive.
Daniel Carlier