Le programme politique désincarné (1/2) ?
Dans le cadre du Grand débat national, 4 réunions sont organisées par la ville de Valenciennes. Celle du 05 février était consacrée à la démocratie et à la citoyenneté, un sujet vaste où les idées peuvent fuser telles des comètes, on n’a pas été déçu hier soir.
« La politique s’occupe de nous, même quand on ne s’occupe pas d’elle« , une contributrice durant ce débat.
Cette phrase sortie dans le feu des interventions par une jeune femme, présidente d’une association, pourrait se graver en lettres d’or sur le fronton de chaque mairie, chaque espace où la politique existe, que cela nous plaise ou pas. Alors que faire, se détourner de la chose publique ou devenir un acteur de cette démocratie au coin de la rue, aux avant-postes de la citoyenneté !
Pour commencer ce résumé, arrêtons-nous pour cet article sur un sujet qui mérite le détour !
Demandez le programme… !
Animée par le président de l’association des comités de quartier, Mohammed Manzelji, mais également par l’ancien élu à la ville de Valenciennes, Jean-Marie Defossez, ce 2ème opus du Grand débat national a tenu toutes ses promesses même si aucune vérité absolue n’est sortie de son chapeau. Sur la forme, élément important, plus de 80 personnes ont assisté à cette réunion, une majorité de cheveux gris même si des jeunes participants ont tenu toute leur place dans cet échange citoyen. Ensuite, et ce n’est pas un détail, les échanges furent respectueux, avec un temps d’écoute, de réponse, un débat dans la sérénité avec pourtant quelques idées très perturbantes.
Environ 1H45 d’échanges, et tout a démarré très fort. Première intervention de Nicolas, entre deux âges… « je propose que pour les élections, les citoyens votent pour un programme, et plus pour une personne. Des citoyennes et citoyens seront tirés au sort, comme dans les jurys d’assises, pour mettre en oeuvre ce programme politique », dixit Nicolas. L’air de rien, cette idée bousculante fut un peu le fil rouge de cette soirée, les autres contributeurs revenant à loisir sur cette idée démocratique. Bien sûr, elle n’est pas née hier soir, mais elle est très peu répandue tant notre corpus politique identifie une politique à un homme ou une femme.
Cette idée de déconnecter la chose politique de l’exécutant au quotidien mérite l’analyse. Tour à tour ces détracteurs ont mis à mal cette conception « irréaliste, mais si les personnes tirées au sort sont incompétentes, que fait-on ? », tance un jeune intervenant. « On croise déjà des ministres incompétents, le pire serait de se retrouver dans une situation déjà connue », répond tout de go Nicolas. Oublier le coté affectif de la politique à travers un vote porté par une femme ou un homme terriblement imparfait comme chacun d’entre nous ; c’est tellement éloigné de notre raisonnement politique que cette idée serait presque séduisante, sauf que la réalité est nettement plus complexe.
« Changement de constitution », Nicolas
Toujours pour étayer son propos « les ministres ne sont pas des spécialistes d’un sujet », précise Nicolas…, et en clair un citoyen tiré au sort avec une équipe de conseillers pointue pourrait faire le job. C’est pas dénué de toute vérité tant certains exemples dans l’histoire de notre 5ème république furent consternants. Néanmoins, la ministre de la Santé comme de l’Education nationale au gouvernement en place ont un CV long comme le bras dans la vie civile antérieure, ce sont des experts quelque soit le jugement sur la politique appliquée. Un tout jeune contributeur ajoute avec talent « les députés sont déconnectés de la réalité, ils votent des lois qui ne les concernent pas ! ». Là également, une ou un député ne naît pas avec ce statut, il est issu d’une société civile avec un emploi, une activité, un vécu important qu’il essaye peu ou prou de porter au niveau national. Cette connaissance du terrain permet à des parlementaires de relayer la parole de proximité, et par suite cette déconnexion n’est pas d’une évidence flagrante.
Pour arriver à bon fin, l’arme absolue pour le choix d’un président… tiré au sort « est le changement de la constitution. Il est indispensable pour mettre en place ce vote sur un programme, et plus sur une personne », conclut Nicolas.
Cette idée bouscule nos codes, nos repères, et rien que pour cela, elle méritait une exposition publique au sein de la mairie de la ville-centre. Pour autant, gommer l’imperfection de l’homme placé comme simple spectateur exécutant est loin de la réalité de terrain. Qui décidera ou jugera si tel ou tel citoyen prendrait trop de velléités politiques, quelles seront les limites politiques des porteurs d’idées programmatiques, quelle sera la police de la pensée pour tous ceux qui ne rentre pas dans le programme majoritaire ? A moins d’une lobotomie générale, qui pourra interdir à un citoyen(ne) de mettre en avant ses idées, d’incarner une politique, cette inaccessibilité de la constitution où l’homme absent serait une proie facile pour tous les révolutionnaires, les factieux en tous genres. Comme disant Churchill, « la démocratie est le pire régime à l’exception de tous les autres »…, et l’absence de l’humain dans une constitution est le déni le plus absolu de milliers d’hommes et de femmes qui se sont battus pour des acquis sociaux, des libertés, le droit de voter, des droits inaliénables, rien ne serait pire que de se dire, l’humain politique est mort.
Certains films de science fiction ont déjà abordé ce sujet à travers une population privée d’émotion, privée de jugements, privée d’un avis tout court, car le programme qui au début est le choix de tous, finit invariablement par être le choix d’un seul. Cest même la bible de la dictature où il faudrait que par un coup de baguette magique, le programme soit le fruit d’un robot dans un univers aseptisé… !
Et oui, j’ai choisi de commencer arbitrairement par ce sujet, donc de faire le choix d’une idée portée par un individu, pas un programme, pas un bout de papier, mais quelqu’un de chair et d’os ! La simple expression de Nicolas, même extrêmement brillante et convaincante, est la preuve irréfutable que la pratique de la politique qui nous régit chaque jour n’est pas l’entrée d’un Casino. L’homme ne peut s’interdir d’exister politiquement même collectivement ou la célèbre phrase de Descartes » je pense donc je suis » prendrait une sacré claque… !
La suite de ce débat dans l’édition de jeudi 07 février.
Daniel Carlier