Territoire

L’habitat-container, une solution à la pénurie de logements ?

Si le sujet du mal-logement constitue un dossier récurrent pour la Fondation Abbé-Pierre, l’accès à un logement tout court est d’évidence encore plus prégnant sur des territoires en tension sociale comme le Grand Hainaut. C’est pourquoi, l’association ADELI réfléchit depuis plusieurs années sur l’item de l’habitat-container. Analysons la pertinence, ou pas, de cette réponse en faveur de l’habitat (2 containers maritimes utilisés pour le projet porté par ADELI).

(Visuel de la réalisation en cours de l’habitat-container témoin)

L’Habitat-Container au microscope

Ce sujet mérite un peu de recul afin de comprendre l’enjeu sociétal, ni plus, ni moins. En effet, l’écologie n’est pas l’ennemi d’une réponse sociale de terrain. Pendant des décennies, les citoyennes et citoyens furent fléchés vers les quartiers et communes périphériques avec le plein de diesel. Aujourd’hui, l’Etat depuis quelques années, voire dans la nouvelle Loi de Transition énergétique et solidaire portée par François de Rugy, promeut l’investissement dans les dents creuses, l’aménagement des friches industrielles, une verticalité maîtrisée sacrifiée antan sur l’autel de l’étalement urbain, et enfin la réduction de cette poussée de fièvre normative dont notre excellence en la matière n’est plus à démontrer. Et pourtant, cette réflexion sur l’habitat-container prend à rebours certains de ces codes, elle pousse à la réflexion pragmatique.

En effet, la conception d’un habitat-container peu apparaître à contre-courant de l’habitat durable, car elle rompt avec la logique d’arrêt de l’étalement urbain, ne répond pas à une nouvelle trajectoire de la verticalité urbaine, casse les codes de l’urbanisation bien-pensante. Et pourtant, tous ces aspects sont balayés d’un revers de la main à travers des éléments factuels répondant aux problématiques de l’urbanisation stricto sensu ; coût de la construction trop chère, délai de livraison trop long, carence de l’offre de logements trop présente, ces trois constats sont simples. Cela mérite de facto des réponses pragmatiques. 

Equipe de Bertrand Ledoux pour la réalisation de cet habitat-container

Habitat-Container, quesako ?

L’idée est simple, mais terriblement structurante. Elle consiste à utiliser des containers métalliques afin de les reconvertir en habitat, bureau, structure d’accueil publique, etc. « Nous utilisons des containers maritimes en bon état, mais au bout de dix ans, ils ne bénéficient plus d’un certificat de navigation », explique Bertrand Ledoux, chef de projet sur ce dossier.

C’est peu voire pas connu du tout, il y a un marché mondial de la revente de containers. « Pour travailler en local, nous achetons nos containers au port public de Saint-Saulve », précise-t-il. Dans ce cadre, ADELI a pris possession de deux containers maritimes afin de réaliser un habitat-container témoin.

« L’habitat-container est entre 10 à 30% moins cher que la construction traditionnelle », Bertrand Ledoux

ADELI, association de loi 1901, porte les fonctions supports pour 5 structures d’insertion (AGEVAL, Prim’Toit, ADACI, Entraide, et dernièrement CAP-IL), mais également des dossiers impossibles à porter dans le coup de feu quotidien pour ces SIAE (Structures d’insertion par l’activité économique). Dans cette optique, Bernard Ledoux a été recruté, et missionné comme chef de projet sur un projet ambitieux de création ex nihilo d’une EI (Entreprise d’Insertion). Patrick Roussiès, président d’ADELI, avait défloré à la cérémonie des voeux son souhait d’une diversification nécessaire dans le domaine de l’insertion.

Aménagement intérieur

Avec une expérience éprouvée durant dix ans dans la construction traditionnelle au sein de Valenciennes Hainaut Habitat, Bertrand Ledoux est arrivée en 2018 au sein d’ADELI pour prendre à bras le corps ce projet ambitieux. Concrètement le chantier d’un habitat-container témoin a été lancé en décembre 2017 avec une réelle originalité. « Il existe dans le privé des entreprises impliquées dans l’habitat-container. Par contre, c’est la première fois qu’un projet de ce type est lié à l’emploi d’insertion », précise Bertrand Ledoux.

Cette étude complète comprend une étude de faisabilité, et la réalisation d’un habitat-container témoin. « Il est en cours d’achèvement. Nous avons mis 12 mois pour boucler cet habitat-container témoin, de Type 3 sur 55 M2, grâce à dix personnes en insertion à temps plein. Attention, les aménageurs ont tourné dans le cadre de leur parcours d’insertion. Par contre, à terme, l’objectif est de réaliser un habitat en six mois contrairement au mode traditionnel entre 12 et 24 mois suivant l’opérateur. Ensuite, compte tenu de ce délai écourté, l’habitat-container est entre 10 à 30% moins cher que la construction traditionnelle», précise Bertrand Ledoux.

Le frein technique

Bien sûr, tout ne se déroule pas comme sur un long fleuve tranquille, loin du lac Leman, ce dossier emprunte plutôt des cours d’eaux agités dont chaque rocher est une norme. « Nous sommes sur un mode constructif différent. Il n’y a jamais de sondage du sol, l’habitat-container doit être toujours un peu surélevé. Ensuite, nous aménageons l’extérieur et l’intérieur », précise Bertrand Ledoux.

Isolation extérieure

La visite de la réalisation témoin est assez bluffante (visuel dans le diaporama en bas de l’article), les prémices de l’enveloppe extérieure cache complètement le bardage métallique, isolation avec de la mousse projetée, revêtement diverse possible, aménagement intérieur très performant, isolation phonique, etc., répartition très classique chambre, salle de bain, pièce principale… ! Vous rentrez tout simplement dans un appartement, voire une maison individuelle de plain-pied, aucune différence visible, un huissier entrant les yeux bandés dans cet espace réaliserait un état de lieux d’un conformisme confondant. « Nous travaillons avec les PLU (Plan Local d’Urbanisme) pour notre projet », précise-t-il où plutôt avec les PLUI compte tenu du transfert de la compétence à l’intercommunalité même si sur ce territoire la parole est (encore) donnée au maire sur ce sujet.

Pour autant, le dossier de l’assurance demeure un frein, mais également un atout. « Nous sommes en train de consolider un dossier recevable pour les assureurs. Une fois cette difficulté passée, ce sera un atout pour le développement de cette entreprise d’insertion dédiée à l’habitat container », ajoute-t-il.

Et la suite… ?

Voilà la finalité de cette étude portée par le chef de projet : « Nous voulons mettre en place une EI (Entreprise d’Insertion) dont l’objet sera la construction d’habitats-containers sur les Hauts-de-France. De facto, nous pourrons passer à la commercialisation de ces logements, bureaux, show-room, locaux sociaux ou d’entreprises, etc. ! », poursuit-il. Pour mener à bon fin ce dossier, le tour de table de cette entreprise d’insertion serait composé d’institutionnels en sus d’ADELI.

La palette de cette EI serait large, indispensable, et configure l’habitat-container comme un outil à disposition des bailleurs sociaux, des collectivités locales, des entreprises, voire des particuliers, en quête de contenants de qualité dans un délai rapide, à un coût plus réduit que dans la construction traditionnelle. « Pour cette première année, nous voudrions réaliser environ 1 500 M2, soit 15 à 20 containers. Cet objectif nécessite 10 salariés, 5 CDI, des professionnels dont l’expertise permettra la réalisation de ces habitats-containers, mais également la tutelle de 5 salariés en parcours d’insertion en provenance de toutes les structures dédiées du Valenciennois », conclut-il.

Réponse absolue en aucun cas, outil complémentaire de logements plus diverses… sans aucun doute, car l’offre de logements doit être large, souple, innovante, pragmatique, ancrée dans la proximité sur des territoires avec une telle densité de population reléguant une idée éthérée de l’occupation du sol aux abysses. L’habitat-container est un peu à l’image de la déconstruction ferroviaire sur Trith-st-Léger où les rames de train, métro etc. sont dépecés pour un recyclage quasi complet. En l’occurrence, un support maritime de transport de produits manufacturés, voire alimentaires, est recyclé vers une seconde vie liée à un contenant habité. Cette transformation fait donc émerger un produit dérivé social dans son parcours, assez classique, mais également dans sa finalité, et cela est nettement plus original en terme de développement soutenable.

L’acrasie est le fait d’agir à l’encontre de son meilleur jugement, c’est un peu l’histoire de notre pensée administrative. On sait par essence qu’une norme de plus va freiner le plus souvent le domaine concerné. Malgré toutes ces habitudes réglementaires, l’habitat-container est potentiellement une réponse à l’urbanisation codifiée, il devrait répondre à certaines carences dans les espaces habités ou occupés. L’accès à un toit devrait faire nation, nous en sommes très loin, mais au moins certains acteurs de proximité comme ADELI agissent pour répondre à ce trou béant dans la raquette républicaine.

Daniel Carlier

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