(Rediff) Le peintre valenciennois Maurice Rufin vu par Jean-Claude Poinsignon
Sur le Valenciennois, la vie culturelle de la fin du 19ème jusqu’à la seconde guerre mondiale fut bouillonnante, d’une richesse incroyable avec pléthore de Prix de Rome, mais également d’autres grands artistes comme le peintre Maurice Rufin. Jean-Claude Poinsignon consacre un livre sur cet artiste de Valenciennes, entretien avec l’auteur de cet ouvrage (visuel Jean-Claude Poinsignon).
Maurice Rufin, le charme discret de la culture !
Tout d’abord, parlons de l’auteur de ce livre. Jean-Claude Poinsignon est une figure très connue sur la ville-centre. Professeur de lettres classiques un temps sur le lycée Wallon, il fut surtout détaché par l’Education nationale auprès de la ville de Valenciennes. « Ma mission était d’organiser des expositions, mais également de faire découvrir des artistes originaires de Valenciennes ou passés par la commune. Valenciennes était trop riche en artistes, le proverbe -on n’est jamais prophète dans son pays- était d’actualité pour certains artistes oubliés », indique-t-il. Il resta au service de la ville de Valenciennes de 1980 à 1995, puis de 2000 à 2007 où il partit en retraite.
De nombreuses publications de Jean-Claude Poinsignon ont permis une résilience médiatique d’artistes comme Charles Bétrémieux, Pierre Bisiaux, voire Alfred-Alphonse Bottiau, où encore Joseph-Fortuné Layraud, prix de Rome en 1863 (1er Prix) dont la carrière s’est poursuivie comme professeur de peinture à l’Académie des Beaux-Arts de Valenciennes avec des élèves comme Lucien Jonas, le peintre anzinois, Goerges Gonthier, Paul-Elie Gernez, Lucien Brasseur, Alphonse Terroir, Pierre-Victor Dautel, et bien sûr Maurice Rufin.
« Un âge d’or de la vie artistique sur le Valenciennois ». Jean-Claude Poinsignon
Cette époque culturelle fut d’une richesse étourdissante « de la fin du 19ème jusqu’en 1914, ce fut un âge d’or de la vie artistique sur le Valenciennois. Il y avait presque un prix de Rome chaque année, notamment en sculpture », souligne l’auteur.
Cependant, tous les artistes ne furent pas marqués de l’empreinte du Prix de Rome. Maurice Rufin est né en 1880, rue de Paris à Valenciennes, en face de l’ancienne mairie située au Tribunal d’instance aujourd’hui. Son père était un marchand de meubles, spécialisé dans le chêne, dont la réputation dépassait largement l’arrondissement.
Atteint très jeune d’une tuberculose osseuse, il a connu toute sa vie une souffrance terrible par intermittence avec un handicap certain. La conséquence directe fut un retard accumulé dans sa scolarité. Il a suivi ses études au Collège de Valenciennes, aujourd’hui sur le site du Conservatoire de Valenciennes, puis dès la 5ème rentra à l’Académie des Beaux-Arts à 13 ans, le bâtiment juste à coté. « Là, très rapidement, il récolta toutes les médailles possibles dans cette Académie de Valenciennes. C’était un élève très brillant, mais sans aucun diplôme, car il ne passa même pas son Certificat d’études après ma recherche auprès des archives départementales. Pourtant, dès son plus jeune âge, Maurice Rufin était connu à Valenciennes comme un artiste peintre, et déjà très productif », commente Jean-Claude Poinsignon.
En 1996, il part sur Paris à l’Académie des Beaux-Arts, son professeur à Valenciennes, Joseph-Fortuné Layraud, fondait beaucoup d’espoir pour un Prix de Rome, à l’époque où les sculpteurs locaux avaient le vent en poupe. Le scénario ne s’est pas produit : » Maurice Rufin s’ennuyait à cette Académie, il partit à la découverte de Paris, sa richesse culturelle, des rencontres comme avec le peintre Raoul Dufy, sans oublier sa vie privée assez tumultueuse avec le sexe opposé. De plus, il avait le mal du pays. Il vivait très péniblement cet éloignement. Comme Jean-Baptiste Carpeaux, il a sollicité toute sa vie les deux choses les plus importantes, sa mère, et le maire de Valenciennes. D’ailleurs, Jean-Baptiste Carpeaux, aujourd’hui adulé, a très mal vécu son anonymat de son vivant entretenu par la municipalité de Valenciennes à l’époque », poursuit Jean-Claude Poinsignon.
Un dessinateur dans la presse parisienne…
Outre des aller-retours récurrents entre la capitale et Valenciennes, Maurice Rufin revient définitivement sur l’Athènes du Nord en 1902. Ce territoire lui manquait, car il était riche de rencontres artistiques, notamment du coté de la commune d’Angre (Belgique) où il échangeait avec Charles Bernier (ancêtre de Jean Bernier), graveur très reconnu, un lieu devenu un carrefour artistique tant sa réputation dépassait les frontières. « Charles Bernier et Maurice Rufin ont initié les premières gravures en couleur. La participation du peintre valenciennois fut très importante dans cette innovation ».
Non loin de là, il venait voir le fameux Emile Verhaeren, grand poète belge, mais surtout critique d’art redouté et influent. Lucien Jonas, ami de Maurice Rufin, venait également à la rencontre de cette figure du monde artistique. Maurice Rufin a fait le portrait de cet homme. D’ailleurs, le « portait est le pain quotidien des artistes à cette époque. Maurice Rufin fut très éclectique, surtout paysagiste, des intérieurs, des natures mortes, bien sûr des portraits, et vers la fin de sa vie des bouquets de fleurs exclusivement », ajoute-t-il.
Sa famille était riche, il n’était pas sans argent sur Valenciennes, il avait une voiture en 1 900. « Il existait trois voitures sur Valenciennes, dont une appartenait à Charles Nungesser, et une autre à Maurice Rufin », ajoute-t-il. Par contre, sa vie frivole lui attira quelques difficultés, très séduisant, il multiplia les rencontres, et notamment avec une des filles de l’ancien maire de Valenciennes pendant la 1ère guerre mondiale, Charles Tauchon. Durant cet épisode guerrier, les Valenciennois ont évacué à Evian en 1917. « A cette occasion, il réalisa une série de peintures « Les évacués d’Evian », une oeuvre relatée dans la presse locale », ajoute-t-il.
En 1918, et surtout 1919, il collabora avec le quotidien de presse parisien « Le Petit Journal ». Il couvrit notamment les grands procès, dernier lieu où aujourd’hui encore le dessin est la seule possibilité de croquer les protagonistes d’un procès.
« 1920 est un tournant dans sa vie », Jean-Claude Poinsignon
A 40 ans, en 1920, Maurice Rufin postule comme professeur de peinture à l’Académie des Beaux-Arts de Valenciennes. Il n’avait pas que des supporters dans le milieu artistique. A savoir qu’à l’époque, le Musée des Beaux-Arts de Valenciennes, tout comme l’Académie, était dirigé par une structure propre avec son Conseil d’administration, comme le CHV aujourd’hui ; une institution avec un Conseil d’Administration où siégeaient le maire, des élus, et des personnalités éminentes de la commune. Parmi ces administrateurs, il y avait Adolphe Lefrancq, ancêtre de Marc Lefrancq, ex président de la CCI de Valenciennes. Face à cette candidature, les membres du Conseil d’administration n’étaient guère enthousiastes…, pas de diplômes, moeurs légères, pas le profil incarné de l’enseignant ! « C’est Lucien Jonas, ami de Maurice Rufin, et d’Adolphe Lefrancq qui insista auprès de ce dernier pour faire intégrer son ami artiste comme professeur », précise Jean-Claude Poinsignon.
Chose faite en 1920 comme quoi, la culture du diplôme en faisant fi des compétences, et celle du piston, viennent de loin. Compte tenu de sa qualité de peintre, il aurait dû intégrer ce corps pédagogique sans relation, sans petit bout de papier… ! « Ce fut un très bon professeur, très pédagogue. Curieux de tout, il poussait ses élèves à se cultiver dans tous les domaines. A titre personnel, il était très intéressé par tous les courants artistiques, sans toutefois aucune incidence sur son style de peinture. Il était très attaché à rester soi-même ».
Décidément, cette année n’était pas comme les autres pour Maurice Rufin. « 1920 est un tournant dans sa vie. Il se maria avec Emilienne Raymonde Drue, dite « Caroline », et mena une vie plus rangée ». Pour autant, il demeura très investi dans la vie de sa cité. « Il participa à la vie locale. Il fut à l’origine du syndicat d’initiative, aujourd’hui l’Office de Tourisme ».
« On peut ranger Maurice Rufin dans la catégorie des Nabis », Jean-Claude Poinsignon
Difficile de cataloguer ce peintre valenciennois, de manière très factuel, il a peint énormément, pléthore d’oeuvres, peut-être trop. En terme de style, après la mouvance des impressionnistes, des artistes soucieux de la même préoccupation plastique se regroupent sous le nom de Nabis, ce qui signifie prophète en hébreu. « On peut ranger Maurice Rufin dans la catégorie des Nabis. Des artistes qui avaient une vision plus intimiste », précise Jean-Claude Poinsignon.
L’aura de Maurice Rufin est resté plutôt régionale avec des expositions sur Cassel, Bergues, voire à Valenciennes. « Le directeur du Musée de Valenciennes dans les années 50, Claude Souviron (fils de peintre) était un grand admirateur de Maurice Rufin. Il organisa une grande exposition en 1956, du vivant de l’artiste », explique l’auteur de cet ouvrage dédié à Maurice Rufin.
En 1966, l’artiste peintre mourut. Une nouvelle exposition lui fut consacrée en 1967. Depuis cette date, Maurice Rufin est tombé dans l’oubli culturel total, ses peintures, outre chez les particuliers, sont dans les réserves du Musée de Valenciennes, d’Hazebrouck, de Cambrai, et de Bruxelles avec peu de chance de voir la lumière du jour. » J’espère que mon livre sera disponible au Musée de Valenciennes « , délivre l’auteur comme petit message… !
Voilà pourquoi je vous conseille vivement d’acheter cet ouvrage consacré à Maurice Rufin, vie de l’artiste, ses rencontres, ses oeuvres, vous apprendrez beaucoup sur ce Valenciennois, et sur Valenciennes par ricochet, un splendide cadeau dans la hotte du Père Noël.
Pour acheter cet ouvrage, il est disponible au Furet du Nord à Valenciennes ou directement chez l’écrivain : Contact/ 03 27 25 43 73 ou par mail : jeanclaude.poinsignon@orange.fr
Daniel Carlier