Un pays en cours d’apprentissage du handicap…
Jeudi 08 novembre, sur Aulnoy-lez-Valenciennes, une journée à l’initiative du « Campus des Métiers et des Qualifications » était dédiée aux échanges entre des personnes en situation de handicap, des professionnels de terrain, des apprenants, des enseignants… . Ce brainstorming visait à trouver des axes de progrès dans la prise en compte du handicap dans la cité ! (visuel atelier).
La conjugaison des maux du handicap
Avant d’arriver à ce type d’action constructive, il n’est pas inutile de rappeler, encore et encore, que notre société s’est construite sans une place pour la personne en situation de handicap. Rester à la maison, cacher ce handicap que l’on ne saurait voir, se terrer chez soi afin d’éviter le jugement des autres, les explications sont légions, les excuses indéfendables pour autant. De fait, notre société a culturellement évincé la prise en compte de la personne handicapée, et donc mécaniquement gommée structurellement la présence potentielle en ville d’une personne atteinte d’une des quatre déficiences reconnues. Dire cela est facile, rattraper le temps oublié est plus complexe.
C’est pourquoi, la loi de 2005, sous Jacques Chirac, fut fondatrice même si son application contraignante fut bien trop longue. Les choses avancent, mais ce qu’il resort de ces ateliers (ci-après) s’explique clairement par cet atavisme, cette hérédité, cette survivance où la différence ne ferait pas partie intégrante de notre corps sociétal. A quelques encablures à l’échelle du temps, la personne en situation de handicap, ou tout autre statut non conforme à une certaine morale insupportable, était écartée volontairement de notre vue, voire subissant l’idéologie avec une extrême atrocité. Encore il y a peu en France, la meilleure illustration est qu’il n’était rien prévu pour les personnes handicapées vieillissantes… Le législateur n’avait tout simplement pas anticipé une nouvelle longévité de la personne handicapée, mourir jeune pour une personne handicapée était le dogme…, on pourrait presque en rire (jaune) !
Le handicap dans toute sa transversalité
Sous la forme d’un challenge régional, cette manifestation est donc le fruit d’un groupe de travail d’enseignants chercheurs de différents horizons pédagogiques du « Campus des Métiers et des Qualifications ». Elle s’est traduite par la constitution d’ateliers composés d’un public hétérogène sur 3 jours, dans 3 communes différentes, Raimbeaucourt, Aulnoy-lez-Valenciennes, et Lomme.
Les acteurs clés de cette réflexion sont le PRIMOH (Pôle de Recherche et d’Innovation en MObilité et Handicap de la région Hauts-de-France), l’Education nationale, l’Université Polytechnique Hauts-de-France (sur Aulnoy), des établissements scolaires du secondaire, des professionnels de terrain, l’école d’infirmière de La Catho à Lille, et surtout le Centre Hélène Borel décliné sur 3 sites (Raimbeaucourt, Comme et Arleux- http://www.centre-helene-borel.com/)
Combien de fois ces entités ont travaillé en mode silo sur cette thématique avec mécaniquement des solutions parcellaires. Cette fois, l’idée est de mixer les publics afin d’ échanger, de co-construire une idée, voire des innovations « qui’l nous faudra accompagner, et notamment des propositions innovantes en terme de mobilité. C’est la mission de PRIMOH à l’issue de ces 3 journées », commente Philippe Puldo, directeur du Pôle PRIMOH.
« Sur la 1ère journée à Raimbeaucourt, l’idée d’une application mobile permettant de prévenir la personne handicapée si un site est accessible, ou pas, est ressortie. Bien sûr, nous devons veiller à une solution applicable », précise Mme Elodie Delattre, directrice du Campus des Métiers et des Qualifications. « L’organisation logistique sur 3 jours fut lourde avec ce mélange des publics. C’est une première, et un test », ajoute-t-elle.
L’université Polytechnique Hauts-de-France était massivement représentée pour cette étape sur Aulnoy-lez-Valenciennes, au sein de l’Espace Culturel les Nymphéas. « 86 étudiants en master 1 et 2 de la filière STAPS (sport) sont présents aujourd’hui ; sachant que certains d’entre eux prendront la spécialité APAS (Activité physique et Adaptée et Santé) », commente Françoise Anceaux, Maître de Conférence, spécialisée dans l’Ingénierie et Ergonomie de l’Activité Physique au sein de l’Université Polytechnique Hauts-de-France.
Enfin, l’acteur clé à travers le Centre Hélène Borel dont plus d’une dizaine de résidents sont présents durant ces 3 jours. Chaque résident a son histoire, et ses problématiques qu’il faut exprimer. « Nous espérons des solutions concrètes pour améliorer la vie de nos résidents hors les murs. Raimbeaucourt, et Arleux sont des communes rurales, et Lomme est plus urbaine, il faut améliorer la vie des personnes en situation de handicap en dehors des établissements d’accueil », déclare Francine Deruy, directrice de la communication du Centre Hélène Borel.
L’accessibilité, principale préoccupation de la personne en situation de handicap
Ce jeudi 08 novembre sur Aulnoy-lez-Valenciennes, onze ateliers très hétérogènes dans ses composantes étaient constitués avec à chaque fois un résident du Centre Hélène Borel. La première tâche était de partager une problématique exposée par la personne en situation de handicap, les mots clés étaient transcrits à la vue de tous pour un meilleur suivi. Ensuite, il faut trouver trouver des idées, constater sans fard des réalités, suggérer des axes de progrès, pas simple. Entre 10h du matin et 15H30, avec une pause repas commune, chaque groupe a oeuvré avec (sans surprise) quelques dénominateurs communs.
La mobilité hors les murs est complexe pour une personne en situation de handicap. Bien sûr, les avancées sont très disparates d’un territoire à un autre. Néanmoins, on peut jauger que le bâtimentaire accessible fait sa mue depuis la loi de 2005, et surtout du plan ADAPT, si tardif pour les collectivités locales. Ensuite, les AOM (Autorités Organisatrices de Mobilité) travaillent à l’accessibilité de tous les transports publics, bus, tramway, ou véhicules adaptés, pas forcément au même rythme selon les territoires, mais c’est une constante sauf que..
« Il faudrait mentionner les REFUS en rouge », Médhi
Sur le volet transport, la loi oblige, l’accueil peut pourtant faire défaut. Mehdi, résident sur le site d’Arleux, ne fait pas dans le discours convenu. « Dernièrement, j’ai voulu prendre un bus. Le conducteur a jugé que c’était trop long de me faire monter via la rampe d’accessibilité, il n’avait pas le temps. Je me suis donc mis devant le bus (en fauteuil) et téléphoné à la Police. Parfois, il faut donc le panier à salade pour obtenir un transport d’une personne en situation de handicap ».
Bien sûr, le propos n’est pas de stigmatiser des agents d’un service public, mais il existe clairement des trous dans la raquette du comportement normal face à une personne handicapée. Ensuite, Mehdi égrène d’autres refus dans des services publics, et privés, compte tenu de sa condition. Il lance au scribe du groupe devant notifier les mots clés sur un paperboard « il faudrait mentionner les REFUS en rouge… ». Oui, une solution innovante en terme de mobilité est le bon vouloir des citoyens…, n’ayons pas cette pudibonderie du politiquement correct pour nommer les comportements illégaux au regard de la loi. Aujourd’hui, surtout ne pas froisser, ne pas nommer les gens, ne pas sous-entendre que c’est possible, la norme du laisser-faire à sa guise est le vecteur commun. Mieux vaut la roue d’un fauteuil qui s’enlise dans un chemin qu’un orgueil écorné de l’accueillant(e), tel est l’état actuel de la société en 2018, celle de la citoyenneté partout sauf – not in my backyard – disent si bien nos amis britanniques.
Sur un autre atelier, une résidente du Centre Hélène Borel souligne (parfois) un « jugement par manque de compétences dans l’accueil ». C’est certain, l’accueil approprié, outre les aménagements adéquats, nécessite une compétence affinée, et notamment pour le handicap cognitif. Sur le Valenciennois, plusieurs communes ont déjà adopté la labellisation S3A avec une formation pour l’accueil des personnes en situation de handicap intellectuel.
Et ces P… de trottoirs !
Si les acteurs concernés par le bâtiment, et les transports publics sont parfaitement identifiés ! Tout cela est bien plus compliqué pour la voie publique, les fameux trottoirs, tout ce qui fait le cheminement classique d’un citoyen(ne) dans une commune. En effet, certaines voies publiques et trottoirs, voire abords, sont sous la compétence communale, ou intercommunale, voire départementale. L’obligation de rendre accessible, selon la loi de 2005, est pourtant claire. Résultats encore visibles aujourd’hui dans les Hauts-de-France, trottoirs himalayesques, escaliers d’accès aux bâtiments publics, voire commerces de proximité, par le biais de dérogations pléthoriques parfois surprenantes à plus d’un titre, espaces intérieurs non aménagés, la liste est infinie… !
Cette difficulté était le fil rouge sur la quasi totalité des groupes de travail, l’aménagement urbain est de facto un souci que les élu(e)s doivent prendre en compte de manière volontariste.
Qui dit voie publique, dit voiture, et par capillarité la cohabitation entre ces dernières et les personnes à mobilité réduite. Tout un programme, là également, certains résidents demandent « plus de convivialité », et plus encore mettent en exergue « l’incivilité des citoyens ». A ce titre, le « stationnement sur les trottoirs » par essence bloquant pour les personnes handicapées, sans même parler des aires de stationnement PMR occupées… L’insertion totale dans notre société d’une personne en situation de handicap passera obligatoirement par un changement structurel et comportemental qu’il soit dans le privé, comme dans la sphère publique.
Voilà un panorama non exhaustif de cette parole libérée au détour d’ateliers citoyens. Les organisateurs tireront assurément des enseignements riches, édifiants, voire constructifs. Rien n’est à exclure pour progresser sur l’inclusion de la personne en situation de handicap dans une cité… pour tous !
Daniel Carlier