(Les Turbulentes) Les coups de cœur de la rédac.
Un vrai tourbillon d’émotions ces Turbulentes dans ce week-end – ensoleillé – de culture, de curiosité, de liberté, d’espoir aussi, la rédaction de va-infos dévoile ses coups de cœur. La très jolie surprise de la Compagnie des Ô / Sarbacane Théâtre avec Fracasse où les enfants des Vermiraux, le rebondissant Dessous d’Histoire de la Compagnie Internationale Alligator et l’émouvant Rejoindre le papillon de la Compagnie Solsikke, qui danse la fragilité du handicap.
Turbulez s’il-vous-plaît. Turbulez où vous voulez, mais turbulez ensemble. Turbulez encore et encore, et faites que cela ne s’arrête jamais…
1er coup de cœur de la rédac. la Compagnie des Ô / Sarbacane Théâtre avec Fracasse où les enfants des Vermiraux. Comme le fait Peter Pan, Nicolas Turon, le metteur en scène emmène avec lui le cœur des enfants perdus.
Conclure cette 20ème édition par un coup de cœur dimanche soir à 20h, c’est terminer le festival en beauté. Librement inspiré du Capitaine Fracasse de Gautier et mélangé à l’histoire de la révolte des enfants des Vermiraux, la Compagnie des Ô et Sarbacane Théâtre ont créé un joli spectacle, sensible, intelligent, humain, qui offre une vraie place aux spectateurs-acteurs.
Quelle drôle d’idée de s’inspirer d’une affaire du début du XXème siècle, exactement en 1911, dans le Morvan, où des orphelins de l’Assistance publique maltraités et exploités, se rebellent contre leur institution – un procès à sensation condamnera leurs tortionnaires – et d’en tisser une histoire avec le roman de Théophile Gautier. Quelle belle idée.
Sur le parking derrière la mairie, mieux valait arriver avec à sa montre une bonne portion horaire d’avance. Quelques tabourets, chaises et bancs, 2 lits, 2 matelas, 2 tables et des couettes et oreillers pour la scénographie. On s’installe, on discute avec les comédiens de la Cie, qui offrent des amandes aux petits et aux grands – on apprendra plus tard pour les amandes – une première partie composée de quelques notes de guitare, et d’un seul coup, en quelques secondes, presque sans s’en rendre compte, on atterrit dans l’histoire, embarqué, emporté, alors on s’y prendrait bien à faire des batailles avec eux, à monter sur les tables, à brandir un oreiller comme une épée, à courir entre les tabourets parmi les spectateurs, qui en fait, sont tous un peu des orphelins.
A l’institut des Vermiraux, il n’y a pas de musique, pas de livres, jamais de jeux. Les trois comédiens de la Compagnie des Ô y racontent leur révolte contre l’autorité et les adultes, capteurs d’imaginaire et voleurs de rêves. Les orphelins enfermés dans cet « institut éducatif sanitaire » sont des gosses abandonnés, pauvres, délinquants, fragiles…Trois d’entre eux, Azolan, Basque et Fracasse, vont voler le célèbre roman Le Capitaine Fracasse de Théophile Gautier, s’identifier à ce personnage et ainsi trouver la liberté, grâce à ce livre, un fournisseur d’imaginaire, un échappatoire, une fenêtre ouverte, un héros de papier.
Simplement habillés comme nous, comme dans la vie, jeans, tee-shirt, sweat à capuche, ils nous entraînent alors dans leur révolte. Des personnalités différentes, Azolan et Basque parlent, jouent, veulent faire la bourse où la vie à la Vidaline, la méchante directrice de l’orphelinat, qu’ils rebaptiseront, en lui enlevant une lettre, comme une dent, la Vilaine. Fracasse, lui, porte les brûlures des Vermiraux. Parfois on a les yeux qui piquent un peu, le cœur qui pince, et comme le fait Peter Pan, Nicolas Turon, le metteur en scène, emmène avec lui le cœur des enfants perdus. Ce « Fracasse » explique la Compagnie c’est « ce qui s’est cassé un jour en nous, et que nous cherchons à recoller. Une fêlure, une blessure, le marqueur du passage de l’enfance à l’abandon de l’enfance ». Alors ils courent les bambins, « c’est la course ou la vie. On court tout le temps, comme des lapins, comme ça on est fatigué, comme ça on dort, comme ça on ne se demande pas pourquoi les cicatrices ça laisse des cicatrices. » Puis « un jour, il faudra qu’on les dise, les saloperies qu’elle a faites, la Vidaline »
Fracasse où les enfants des Vermiraux peut être vu par les enfants qui y plongent avec leur innocence et leur fraîcheur de mômes, quant aux adultes, ils y projettent leurs propres histoires. A chacun son Fracasse, à chacun sa fêlure de l’enfance, fine pour certains, très entaillée pour d’autres. Sûr, on en sort pas indemne, ému, touché, mais la compagnie a cette délicatesse, frôler juste assez la cicatrice pour la raviver sans jamais la faire saigner.
Coup de cœur 2, pour Dessous d’Histoire de la Compagnie Internationale Alligator….du théâtre de rue ! Où comment raconter l’histoire comme un récit épique.
Deuxième voyage, dans le temps cette fois, sur une frise chronologique couvrant l’humanité rien que ça ! Après avoir mis en rue 6 ans de révolution en 1h10, 55 ans de la vie de Jaurès en 1h, c’est une chronique couvrant 2400 ans d’Histoire à travers les hommes et femmes qui l’ont marquée. La ville de Vieux-Condé s’est transformée quelques temps en place des grands hommes et femmes, les grands résistants, penseurs, rebelles, philosophes, monstres…des aller-retour dans le temps, Socrate et sa ciguë, César, Galilée, Molière, Spinoza, Darwin, Simone Veil, Napoléon, Hitler, Staline, Shakespeare, Le Christ, Voltaire, Louis I, II, III… « nous irons au bois », Bossuet, Einstein, et Gandhi, panaché de son étoffe orange déambulant sur une poubelle portant un autocollant du Che Guevara…des tours de passe-passe entre des tas de personnages reprenant vie pour raconter les mouvements de révolte, faire réfléchir et penser à demain. On est sûr d’une chose, si tous les cours d’histoire pouvaient être enseignés de la sorte…
3ème coup de cœur, Rejoindre le papillon de la Compagnie Solsikke.
Une fable dansée sur la fragilité, sur notre capacité à porter l’insupportable, à soutenir l’autre et soi-même, jusqu’à l’épuisement. On est là tous assis sur l’herbe face à un banc où les comédiens vont nous émouvoir, jusqu’aux larmes. Ils se caressent, se tiennent, se soutiennent, se rejettent…luttent ensemble, sur une bande son composée de témoignages de personnes qui font face à une situation de handicap, un enfant, un parent, une amie… issus du recueil « parent d’enfant handicapés » sous la direction de Charles Gardou. C’est criant de vérité, dur, fort, simple, ce sont des mots – maux – de tous les jours. Un corps à corps à fleur de peau, une intimité dansée dans l’espace public, une écriture sensible et poétique sur le handicap portée par un couple de comédiens. Elle ne prend pas appui sur ses pieds, elle ne peut pas. Lui, son compagnon de route, la porte, la soutient, la couve du regard. Elle manipule, assise, ses lacets de chaussures comme des marionnettes, lui en sourit, en silence, ému. A t-elle envie de rejoindre le papillon? Sa fragilité physique crée chez le spectateur une fragilité émotionnelle, qui est emporté dans un tourbillon émouvant, bouleversant d’humanité, jusqu’à cette très jolie fin qui laisse entrevoir un si bel espoir de fraternité.
Voilà les Turbulentes XXème édition c’est fini. Il reste des souvenirs, des émotions, des photos et des mots. Comme dirait Basque dans Fracasse où les enfants des Vermiraux, «Y a qui pour raconter, à part nous? » Et puisqu’il faut grandir, que le temps est irrémédiablement perdu, que « la vieillesse n’est pas une excuse, il n’y a pas de vieux, il n’y a que des enfants qui abandonnent », il faut que vous sachiez une chose, on n’a pas envie de mettre les doigts dans l’engrenage du monde des adultes, on a fermement décidé de garder notre âme d’enfant…
Céline Druart Beaufort