Le cabaret de curiosités 2018 : Exilexit, les artistes ouvrent la porte…
On en parle ? Où on n’en parle pas ? Des migrations. Le thème du Cabaret de curiosités, festival dédié à la création contemporaine qui nichera au Phénix, la scène nationale de Valenciennes et sur le territoire culturel élargi – qui lui ne connaît pas de frontières – du 15 au 17 mars. L’édition 2018 tient ses promesses. Alors si on donnait la parole aux artistes? Eux qui savent si bien jouer avec les mots et l’émotion, celle douce ou intense, qui a le pouvoir de changer les choses et d’ouvrir un autre monde. Dans ce programme séduisant, zoom sur deux rendez-vous de création, La petite fille de Monsieur Linh de Philippe Claudel / Guy Cassiers, 1993 d’Aurélien Bellanger / Julien Gosselin, et sur notre coup de cœur, le charismatique Gurshad Shaheman.
Trois jours d’immersion, 14 spectacles, des conférences, des rencontres… Venez faire bouillonner les idées, voir les choses sous un autre angle, glisser les plaques tectoniques, bouger les frontières…
Ici, le nord de la France, au cœur de l’Europe, une terre devenue un des lieux d’accueil pour des dizaines de milliers de réfugiés en transit, sans statut. Les migrations sont sujet de contradictions et de tensions pour nos sociétés démocratiques, oscillant entre l’idéal de terre d’accueil et la confrontation aux difficultés de mise en œuvre d’une politique des réfugiés. C’est ici, sur cette même terre, que sous le titre ExilExit, le festival Cabaret de curiosités dédié à la création va remuer les idées. Réunissant chaque année des artistes autour d’une question thématique qui croise esthétique et enjeux politiques, ce rendez-vous culturel se posera au Phénix bien sûr mais également au Boulon, centre des arts de la rue et de l’espace public, à Vieux-Condé, à l’espace Pasolini, laboratoire artistique, aux Nymphéas d’Aulnoy-Lez-Valenciennes, à L’H du siège, à Wavrechain sous Denain via les scènes plurielles, à l’université de Valenciennes, à la Chambre d’eau à Le Favril et à l’E232U, théâtre de chambre à Aulnoye-Aymeries.
Romaric Daurier et Hermann Lugan du Phénix expliquent ce cabaret de curiosités 2018 « l’idée est de se faire la chambre d’écho de préoccupations d’artistes. La question migratoire est devenue tellement centrale que cela fait sens de réunir les artistes et de faire vivre le débat ». Exilexit interroge la question des migrations contemporaines « notre territoire vit de manière particulièrement aiguë cette situation depuis 20 ans. Au cœur de l’Europe, il en est devenu aussi l’un des culs-de-sac pour des dizaines de milliers de réfugiés en transit, sans statut, invisibilisés dans les camps de Steenvorde, Tatinghem, Norrent-Fontes, Choques, Angres, Roclincourt, Rumaucourt, Calais, Grande-Synthe… À travers le sort que nous réservons aux opprimés, il est à craindre que nous ne jouions la réalité-même et le devenir de nos démocraties. Artistes, penseurs et chercheurs vous proposeront un parcours à travers la complexité de ces enjeux, par leurs regards singuliers. Nous élargirons la perspective par deux focus sur des régions du monde, à la fois terres de départs et réceptacles des migrations, le Moyen-Orient et Taïwan, en partenariat avec le Centre Culturel de Taïwan à Paris, le National Performing Arts Center et le Bureau Français de Taipei et l’Institut Français. »
Et le directeur du phénix ajoute « pas pour apporter des tas de réponses mais pour poser beaucoup de questions. Des oscillations entre des points de vue plus engagés et d’autres qui permettent de prendre plus de hauteur », et c’est ainsi là que commence le chemin…
Un débat rencontre « Les migrations » en collaboration avec l’Agence Nationale de la Recherche avec chercheurs, penseurs, artistes, écrivains, philosophe, géographe …
Cette table-ronde d’ouverture du festival est un temps de discussion qui interrogera l’expérience des réfugiés, les transformations des formes de migrations, la division sociale des espaces géographiques, le rôle des frontières, en croisant les points de vue des chercheurs, des artistes, metteurs en scène et écrivains, dont Patrick Simon, directeur de recherche, sociologue, Institut National d’Études Démographiques, Michel Foucher, géographe, ancien diplomate, Sophie Djigo, professeure agrégée de philosophie, chercheuse associée au laboratoire « Savoirs, textes, langage », CNRS/Université de Lille 3, Stéphane Dufoix, professeur de sociologie (laboratoire Sophiapol), Université Paris Nanterre. Des metteurs en scène et des écrivains dont Guy Alloucherie qui travaille depuis longtemps sur le territoire de Calais avec des réfugiés et Aurélien Bellanger, écrivain (auteur notamment de 1993).
(Jeudi 15 mars de 9h à 13h à l’Université de Valenciennes, le Mont Houy. )
D’autres rencontres sont programmées, une avec L’amicale de production le vendredi 16 mars à 10h, une autre avec les artistes du cabaret 2018 le samedi 17 à 12h30. Le Kaidong panorama Taïwan avec le centre culturel de Taïwan le vendredi 16 mars à 14h, l’important Langues & Migrations : isolation ou rayonnement, le samedi 17 mars à 15h, « pour certains artistes, quitter sa langue maternelle, c’est quitter son corps, ses souvenirs…un regard sur tensions géopolitiques provoquant des migrations contemporaines sous l’angle des langues et des transformations »
Première française. La petite fille de Monsieur Linh, de Philippe Claudel / Guy Cassiers .
La petite-fille de Monsieur Linh est le second volet d’un diptyque consacré aux migrations après Borderline (Grensgeval) d’Elfriede Jelinek.
Guy Cassiers, que l’on ne présente plus, est tout simplement l’un des plus grands créateurs européens de théâtre. Auréolé de Prix, prix Thersites de la critique flamande pour l’ensemble de son œuvre (1997), le Prix pour les arts de la ville d’Amsterdam et, de pair avec Ivo Van Hove, un doctorat Honoris Causa pour mérites généraux par l’Université d’Anvers. C’est une forte amitié qui le lie à l’équipe du Phénix, il livre ici « sa vision à hauteur d’homme d’un phénomène migratoire. Toute la question du langage, comment sommes nous perdus dans la langue? C’est très touchant. Sur une scénographie simple, des projections de textes comme si l’on se baladait dans une forêt de mots», note Romaric Daurier.
Adaptée du roman de Philippe Claudel, cette nouvelle création est articulée autour de la figure de l’étranger dans l’histoire européenne contemporaine. Cette histoire touchante est celle d’un homme qui doit fuir son pays ravagé par la guerre, en quête d’un avenir meilleur pour sa petite-fille, avec le peu qui lui reste et vivre avec les souvenirs traumatisants et l’impossibilité de tourner le dos au passé. En face de ce récit poétique et tout en pudeur, Guy Cassiers place sa mise en scène de la violence verbale d’Elfriede Jelinek dans Die Schutzbefohlenen, (Grensgeval). C’est dans l’intervalle entre le cri explicitement politique de Jelinek et le chagrin refoulé, inexprimable de Claudel que se trouve la sensibilité à laquelle aspire Guy Cassiers dans ses spectacles.
(Jeudi 15, vendredi 16, samedi 17 mars. Durée 1h15.)
1993. Aurélien Bellanger / Julien Gosselin.
« Pour moi, c’est son meilleur spectacle ! », lâche Romaric Daurier. Ça pose le cadre. « Comment est-on passé du fantasme du Tunnel sous le manche à un endroit qui bloque le passage…Est-ce qu’aujourd’hui c’est la fin de l’histoire? » Le metteur en scène de 2666 a sollicité le concours d’Aurélien Bellanger, le romancier, pour 1993, l’année où a été inauguré le tunnel sous la Manche…
1993. Tiens encore une année. « Julien Gosselin donne la parole à des jeunes nés aux alentours de 1993 », c’est leur génération qui s’exprime, qui donne sa vision : que signifie être né après la chute du mur de Berlin ? De quelles déceptions, de quels rêves hérite-t-on ? Qui aurait imaginé en inaugurant le tunnel sous la Manche, en 1993, qu’au même endroit surgirait quelques années plus tard la Jungle de Calais ? Dans ce spectacle écrit spécialement pour lui par Aurélien Bellanger, Julien Gosselin donne à voir comment le tunnel sous la Manche s’est transformé en symbole douloureux de la crise des réfugiés. Légende, puis réalité, la Grande-Bretagne enfin rattachée au continent, l’Europe pouvait s’enorgueillir d’avoir franchi un pas décisif. Sauf que, comme l’écrit Aurélien Bellanger, « le Tunnel, solution jadis miraculeuse, est devenu le nom d’un problème insoluble »
(vendredi 16, samedi 17 mars > 20h30)
Le charismatique Gurshad Shaheman, artiste associé, dans Pourama Pourama.
Il y a des acteurs, comme celui-ci, qui vous marquent. Il y a des visages, des corps, sur scène que l’on ne peut pas oublier. Gurshad Shaheman en fait partie. Il a ce quelque chose en plus. On se souvient de lui dans Andromaque les héritiers de Damien Chardonnet-Darmaillacq, joué au Phénix en janvier 2018. Il a, en quelques secondes à peine, posé là, comme ça, sa présence scénique. Il est véritablement hypnotisant. Une présence silencieuse, un charme troublant, un regard … Il joue, avec passion, avec amour, il joue. Il faut retenir son nom. C’est Gurshad Shaheman.
Le comédien/interprète, formé à l’ERAC, l’École Régionale d’Acteurs de Cannes, a dans ses bagages également un master de littérature comparée. Son mémoire était consacré à la traduction en français de la poésie contemporaine iranienne. Il livre une histoire intime. Un one-man-show de 4 heures. « Trois formes qui s’enchaînent : Touch Me, Taste Me, Trade Me, fruit de plusieurs années d’écriture et de recherche. Il a une écriture incroyable », ajoute Romaric Daurier. Trois pièces qui étaient auparavant dissociées mais dont l’artiste, considérant que cet ensemble n’était en réalité qu’une seule et longue pièce, que chaque partie ne prenant vraiment son sens plein qu’à la lumière des deux autres, a décidé de reprendre dans son ensemble. « Dans chaque acte, la place du spectateur est repensée de manière à lui proposer une expérience sensorielle et immersive», explique Gurshad Shaheman.
L’acte I, Touch Me parle de la petite enfance passée aux cotés de son père dans l’Iran des années 80 pendant la guerre Iran-Irak.
L’acte II, Taste Me raconte son adolescence passée seul avec sa mère, leur exil d’Iran et ses premiers pas dans l’apprentissage du français
L’acte III, Trade Me narre son entrée dans l’âge adulte. Un récit final qui vient clôturer cette quête d’une identité et affirmer l’apparition d’un « je » émancipé des deux figures parentales.
Sur le territoire, les rendez-vous à ne pas manquer.
Des performances avec As far as my finger trips take me, de Tania El Khouny, qui promet un contact interactif de manière individuelle avec le public de quelques minutes. De la danse, avec Sponge de Lin Yu-Ju, en première française au Phénix pour cette artiste à la sensibilité hallucinante. A l’espace Pasolini, 20 minutes for the 20th century, but Asian, une performance conçue et chorégraphiée par River Lin, qui présente en 40 minutes l’histoire de la danse moderne du 20ème siècle. Une installation /performance aux Nymphéas, W.A.W.E. de Su Wen-Chi, Cie Yilab. À travers ce spectacle, la danseuse et chorégraphe taïwanaise livre un solo aussi sublime qu’inquiétant, dans la pénombre, au sein d’un espace quadrillé par un réseau mouvant, sonore et lumineux. Frédéric Dumont avec Cela, quelle langue, à la galerie L’H du siège. Still in Paradise de Yan Duyvendak / Omar Ghayatt via les scènes plurielles à Wavrechain sous Denain.
Mais aussi une exposition photo Ceux qui passent et ceux qui restent de Julien Saison ou encore ctzns, des portraits réalisés par les étudiants JORIS de l’université de Valenciennes et même du cinéma avec Fuocoammare – par delà Lampedusa de Gianfranco Rosi.
Du théâtre de création en étape de travail avec à 232 U, au départ du Phénix en bus, Barbaresques ( ne sors plus de chez toi) de Félix Jousserand / Christophe Piret qui narrera la question des migrations de manière générale et plus particulièrement celle entre la France et l’Algérie. Christophe Piret nous en parle « ce sont d’autres points de vue, d’autres regards, on a souhaité monter ce projet en commun sans rester collés à cette frontière France / Algérie – Algérie / France, pour s’inventer un pays. C ‘est une étape de travail, le spectacle sortira officiellement pour novembre ».
Une installation vidéo A la chambre d’eau à Le Favril, Chercheurs d’âme de Mokhallad Rasem, se posera à Poix-
du-Nord, avec une navette au départ du Phénix. Passé par un centre de réfugiés en Belgique en 2006, l’artiste irakien Mokhallad Rasem a souhaité mettre à profit cette expérience difficile pour concevoir un projet artistique impliquant des demandeurs d’asile. Vincent Dumeslin, co-directeur, raconte la jolie histoire « de cette polonaise qui arrivée sur le territoire de l’Avesnois nous a amené à nous poser la question de ce qu’il se passe avec l’immigration en Avesnois. Nous avons cherché les initiatives existantes. » C’est ainsi que l’artiste irakien, Mokhallad Rasem, a essayé de révéler ce qui se joue dans l’ombre. Il a rencontré un réseau très actif au sein duquel se mêlent et s’activent personnes accueillies et accueillantes, citoyens français, migrants et réfugiés.
Même des lectures, On Possibilities : unlearning, undoing, de Tony Chakar, architecte, écrivain et plasticien a toujours placé les conflits du Moyen-Orient au centre de ses travaux. Dans cette lecture il est question de lumière, d’obscurité, de rébellion et d’exil. Ou encore Evering you ever wanted to know…d’Abdel Rahem Alwij, une conférence / performance sur un ton décalé et original qui promet des révélations sur une situation politique délicate.
Le programme complet, c’est ici : http://scenenationale.lephenix.fr/programmation/cabaret-de-curiosites-2018/
Au cabaret de curiosités, un lieu de réunion est ouvert, dans le hall, un meeting point où se rencontrent artistes, publics, professionnels, lors de discussions animées par l’équipe du Phénix avant, après les spectacles, autour d’un café… là où « on refait le monde ».
Céline Druart Beaufort
Infos pratiques. ExilExit du 15 au 17 mars. Le Phénix 03.27.32.32.00