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Dominique Riquet, une aventure européenne… utile (2009-2024)

Après un dernier vote en plénière le 24 avril à Strasbourg, l’ambiance, toujours studieuse, est plus détendue au sein de l’autre emblématique site de l’Union européenne à Bruxelles. En effet, l’heure est aux cartons, les costumes ne sont plus d’actualité, pour les députés comme pour leurs équipes, car les derniers pas de cette législature parcheminée d’une crise sanitaire, mais également d’une guerre aux portes de l’Europe, sont tracés jusqu’au 09 juin prochain. Voilà le temps où un regard acéré sur le chemin parcouru par cette institution, voire les attentes et l’impatience associée, est essentiel. Un parlementaire ne se représentant pas pour le prochain mandat européen (2024-2029) était tout indiqué pour parler sans faux-fuyant. En l’occurrence, le Valenciennois a un acteur de choix sous la main, car parmi les sortants (Groupe Renew), Dominique Riquet, l’ancien maire de Valenciennes, a été député européen durant 15 ans, notamment au sein de la stratégique commission européenne des transports durant les 3 mandats. Ce dernier nous a reçu dans son espace de vie à Bruxelles pour faire un bilan de son momentum européen.

(Dominique Riquet dans son bureau au siège de l’U.E à Bruxelles avec en fond une carte européenne)

Dominique Riquet : « Les crises font avancer l’Europe ! »

Profondément pro-européen sur son territoire de coeur où les collectivités locales ont bénéficié massivement des subventions de la politique sociale européenne, Dominique Riquet rappelle le fameux « Objectif 1 » décroché par Jean-Louis Borloo avec un Hainaut Français et un Douaisis (éligibles en 1993) considérés comme des territoires en souffrance majeur, le début de tout… ! « Toyota est arrivé grâce à nos réalisations en amont de ce choix industriel », précise Dominique Riquet.

Elu en 2009 sur une liste UMP au titre du Parti radical, en 2014 sur une liste Modem/UDI depuis l’émergence du nouveau parti du centre en 2011, et en 2019 sur une liste Renew « où ils sont venus me chercher. C’est Stéphane Séjourné (Actuel Ministre des Affaires Etrangères) qui m’a contacté pour me proposer une place éligible », commente l’ancien maire de Valenciennes. Pour le député sortant, ce dernier opus européen « s’est passé comme dans un rêve, nous avions une équipe soudée (22 élus) et nous avons pesé sur chaque grande vote. Nous étions le Groupe parlementaire qui fait basculer une décision à droite (PPE) ou à gauche (PS), une position centriste privilégiée avec une grande liberté d’actions ».

D’aucuns diront qu’il y a eu un certain opportunisme politique, lui défend son travail reconnu au sein de la Commission européenne des transports (et du budget en 2009 aussi) durant 3 mandats, mais il assure qu’il n’était « engagé que pour un BAC +5, là j’ai BAC +15 », concède-t-il. L’explication se trouve peut-être dans la complexité de l’institution Europe et le temps long nécessaire à faire émerger un dossier. En effet, la période incompressible pour qu’un projet passe tous les rouages, de l’idée jusqu’aux navigations entre les Commissions dédiés, la Commission européenne et le Parlement européen, prend déjà 3 à 4 ans, puis vient seulement la présentation aux Etats membres. « J’ai mis un mandat pour me mettre au niveau, car la pratique européenne est particulièrement technique. D’ailleurs, j’ai vu passer 8 Ministres des Transports, certains n’y connaissaient rien du tout. C’est l’Etat profond qui décide du futur d’un dossier complexe », précise-t-il, nous y reviendrons sur l’item du Canal Seine Nord Europe. 

Pour autant, des événements majeurs peuvent prendre une ampleur atomique, en mode chamboule-tout, quand le commun européen est en jeu. Le moins que l’on puisse dire est que Dominique Riquet a été gâté en la matière. Tout d’abord, les conséquences de la crise financière en 2008 où « la BCE (Banque Centrale Européenne) a pris le pouvoir », la crise Grecque dont l’enseignement premier est qu’un premier ministre (Tsipras) n’a pas eu d’autres choix que de se conformer aux règles budgétaires pour sauver son pays de la banqueroute, une Grèce bénéficiaire d’une croissance remarquée aujourd’hui. Ensuite, la fameuse crise sanitaire où la mise en commun des vaccins s’est imposée comme une évidence. « Nous devions protéger toutes les populations européennes », puis par capillarité la crise économique « avec une solidarité de nécessité à travers un emprunt commun ». De fait, l’Europe a franchi des caps inimaginables durant ces périodes sensibles. « Les crises font avancer l’Europe ! Elle avance avec des coups de pied aux fesses », déclare-t-il. 

Pour le député européen, cette succession de crises met en exergue un besoin de mise en commun des ressources comme pour « la défense, la santé, les grandes infrastructures de transport, etc. Qui peut penser aujourd’hui que nous pouvons nous exonérer de travailler en commun sur ces sujets ? ». 

« Les fonds dédiés, ma fierté », Dominique Riquet

Si nous pouvions résumer la pensée europhile du député en une phrase, elle serait simple : réduire le nombre de véhicules terrestres sur la route, particuliers et professionnels. Pour cela, le rail est un premier moteur de cette révolution copernicienne. 

C’est dans ce cadre que la commission européenne des transports, et ces grands projets d’infrastructures, prend toute sa dimension. « Le problème est l’harmonisation des grands réseaux de transports européen et le volet financier à la clé. Avant 2009, la règle était le financement par pays, chacun maîtrisait son projet. J’ai travaillé pour l’existence d’un fonds dédié, spécifique aux grandes infrastructures de transport, afin de mettre en commun des financements pour des projets très structurants au niveau européen, mais aussi des co-financements croisés, car il n’était pas possible non plus de bénéficier de deux lignes européennes distinctes de subventions », explique-t-il. 

Aujourd’hui, vous avez donc un financement possible commun et des possibilités de les croiser avec d’autres financements, comme par exemple une subvention pour la transition écologique avec celle des grandes infrastructures de transport. C’est une pratique courante pour des dossiers interministériels en France et ailleurs, mais cela n’existait pas, aussi incroyable soit-il, pour des projets intra-européens. «  Aujourd’hui, cette pratique a été dupliquée pour un fonds social, mais également pour d’autres fonds spécifiques. La réalité des fonds dédiés dans l’Union Européenne, c’est ma fierté ! », indique Dominique Riquet.

Evidemment, très pro-rail, le député européen, qui a vu l’AFE (Agence Ferroviaire Européenne) s’installer en 2006 sur la ville dont il était maire, a oeuvré à l’harmonisation des réseaux ferroviaires européens avec des succès reconnus comme durant ce dernier vote du 24 avril 2024 . « D’ailleurs, nous parlons beaucoup de normes aujourd’hui, l’AFE avait à ses débuts 16 577 normes à respecter. En 2024, nous avons réduit cela à 600 normes en matière ferroviaire européenne », ajoute-t-il. 

L’Etat profond ne voulait pas du Canal Seine Nord Europe ?

Pour le Valenciennois, et plus globalement la France au dessus de la région parisienne, le projet d’un canal à grand gabarit rejoignant l’Europe du Nord est un peu comme le rêve de (re)marcher sur la Lune, utile, mais infaisable pensait-on ! « Comme député européen, j’ai rencontré rapidement l’Etat profond (les Hauts-Fonctionnaires) sur le projet du Canal Seine Nord Europe. Clairement, il n’en voulait pas, trop cher, trop complexe, et un Ministre des Transport n’a pas la main sur un dossier aussi technique, c’est l’Administration qui décide. Il y avait une hostilité des hauts-fonctionnaires des Ministères concernés, les Transports, l’Equipement, Bercy évidemment, car il n’y avait pas assez d’argent en dehors de l’Etat, et VNF (Voies Navigables de France) », assène-t-il. 

Dans cette optique, le dossier a trainé dans les couloirs des instances nationales et européennes, et par ricochet le fameux curage du canal Condé-Pommeroeul dans le Valenciennois, faisant gagner une demi-journée de navigation pour le fret fluvial, demeurerait dans les limbes.

Après moult rebondissements, plusieurs études très médiatisées du coût de cette infrastructure hors norme, l’arrivée d’une nouvelle gouvernance à la région Hauts-de-France a changé la donne. « Xavier Bertrand s’est engagé afin de prendre en main les travaux à travers une structure dédiée. Bien sûr, l’Etat reste partie prenante financièrement, mais il n’est pas l’opérateur sur le terrain », explique Dominique Riquet. Quant à l’accord au niveau européen, il s’est inscrit dans un projet global « Seine-Escaut » où le CNSE prend la majorité du financement, mais également le Canal Condé-Pommeroeul en service à ce stade.

Concrètement, le Canal Seine Nord Europe est le premier chantier national délégué à une région, pas neutre. Quel est le déclencheur de l’accord in fine, cela reste un mystère ? Toujours est-il que l’Europe depuis le début avait fléché 40% de subventions européennes sur l’investissement global, soit 5 milliards d’euros, elle a fait de nouveau un pas décisif. « J’ai négocié âprement avec les autres membres de la commission transport afin de passer à 50% d’investissement de l’Europe sur le CNSE. Nous avons trouvé un deal ! Sur le volet écologique, le CNSE, c’est 500 000 camions en moins sur l’autoroute A1/A2 », précise Dominique Riquet. 

A cet effet, une société ad hoc spécifique, basée à Cambrai, a été lancée en 2016 afin de coordonner, dès mai 2017, cette réalisation majuscule dont la fin de chantier est programmée pour 2028/2030. Dominique Riquet était le représentant de l’Europe, comme personnalité qualifiée, au sein de ce Conseil de Surveillance du CSNE (Conseil de Surveillance CNSE). Au niveau régional, le dossier est toujours en mouvement avec une dernière flèche budgétaire accordée par la région Hauts de France.

« 2035, zéro émission, c’est une erreur ! », Dominique Riquet

Toujours intéressant de constater sur pièce l’engagement du député européen sortant à la réduction massive des véhicules terrestres sur les routes et sa position tranchée sur la loi européenne sur les voitures électriques neuves. « 2035, zéro émission, c’est une erreur ! » , clame-t-il.

En effet, les instances européennes ont choisi de marquer au fer rouge le passage aux voitures tout électrique. En 2035, au sein de l’Union européenne (mais pas ailleurs), l’industrie automobile devra produire 100% de voitures électriques ou autres énergies alternatives décarbonées (comme l’hydrogène). « C’est une solution drastique, il n’y a pas de neutralité technologique, une décision catastrophique pour l’industrie automobile alors que la production de batterie électrique n’est pas aussi vertueuse. Pour être transparent, il faut prendre en compte les données du puits à la roue, le problème des ressources naturelles, l’effondrement de l’industrie automobile, le coût social élevé à la clé…, j’ai proposé 90% et 10% encore réservé au thermique, mais rien n’a été accepté. J’ai rencontré le porteur du projet de loi, sans me donner tort, il m’a indiqué que c’était d’abord un signal (écologique) », argumente Dominique Riquet.

Enfin, c’est l’occasion de tordre le cou à une rumeur faisant florès sur les réseaux sociaux, le citoyen européen pourra encore conduire une voiture thermique (donc d’occasion) après 2035.

« C’est le mandat de maire le plus gratifiant », Dominique Riquet

Le mandat de député européen est « une aventure intellectuelle » que Dominique Riquet a dégusté puisque ce dernier a fini avec le meilleur taux de présence durant le 1er mandat, le 2ème également, et les chiffres ne sont pas sortis pour le 3ème. « Je viens tous les jours du matin au soir. C’est un mandat à temps plein ! », souligne-t-il. D’ailleurs, sur le chemin labyrinthique du bureau de l’élu européen, à l’aller comme au retour, les attachés parlementaires (équipe de 3 personnes sans présence dans le Valenciennois) soulignent avec une apparente sincérité qu’il « sera difficile de trouver aussi bien que Dominique Riquet » ou encore « c’est bon pour mon CV d’avoir travaillé avec lui ». 

Durant 3 ans, le député européen a cumulé son emploi à temps plein au sein du Parlement européen et le chronophage mandat de maire, en l’occurrence de Valenciennes. A un moment donné, l’heure du choix était inéluctable et les « candidats étaient très nombreux » pour prendre la place du calife, comme toujours… même si cette fonction doit gérer « une merde par jour. Que va-t-il m’arriver aujourd’hui à Valenciennes ? », poursuit l’ancien maire. A portée de baffes est une litote !

Et pourtant, entre son expérience européenne et la fonction d’un édile, il déclare, sans hésiter, sa flamme pour cette gouvernance de proximité : « C’est le mandat de maire le plus gratifiant. Vous agissez directement sur les choses et les gens »… même si le transfert des compétences vers les intercommunalités rend plus complexe la prise directe du locataire du fauteuil majoral avec ses administrés. Comme souvent écrit dans ses colonnes, la loi NOTRe (2016) restera le meilleur poison lent pour éradiquer le pouvoir d’agir de la collectivité locale, un meurtre administratif et financier presque parfait !

En juillet 2012, Dominique Riquet a donc transmis le relais à Laurent Degallaix, validé à travers un vote démocratique au sein du Conseil municipal de la ville centre, une décision qu’il assume totalement : « C’était le bon choix et d’ailleurs, il a été réélu deux fois. Il a beaucoup de qualité que je n’ai pas. C’est un bon maire ! ». 

Les Lobbys, stop ou encore ?

Voilà un sujet typiquement où, d’une véritable réalité, un seul mot génère les fantasmes les plus étonnants ! En effet, les lobbys sont omniprésents autour des députés européens et ces deniers peuvent bénéficier d’une rémunération annexe en toute légalité. Est-ce déontologique ? Dans ce cadre,180 des 705 eurodéputés bénéficient d’un revenu de cet acabit, selon l’ONG Transparency. Ainsi, le député européen doit déclarer chaque année toutes ses interactions professionnelles, les conflits d’intérêts potentiels… ! Néanmoins, certains abusent du système et jettent l’opprobre sur tous les autres. Dominique Riquet convient que « comme dans toutes les professions, des personnes passent la ligne rouge ! ». 

Pour autant, le député sortant souhaite recadrer le sujet : « Tout d’abord, les lobbys ne sont pas seulement les grands groupes, les entreprises, mais également des ONG, des syndicats. Je reçois toute le monde. Toutefois, lorsque j’accueille un lobbyiste de l’industrie automobile, je sais qui j’ai en face de moi, il n’y a pas de surprise. Parfois, j’apprends des choses ! »… donc utile pour le député sortant !

En toute état de cause, l’électrice et l’électeur lambda sont troublés par cette latitude. La machine européenne gagnerait à mieux encadrer cette pratique de manière plus transparente, plus sécurisée et surtout moins conciliante à tous les égards.

Et après le 09 juin… ?

Après un mandat de maire de plus d’une décade, un mandat de Conseiller régional, celui de député européen, on pourrait supputer que l’envie d’une vie politique resterait vivace chez Dominique Riquet. A 77 ans, il balaye cette idée afin d’éviter un « système agonique. Je vais faire ce que je peux. Ma seule envie (à ce stade) est l’écriture d’un livre, avec deux amis historiens, sur le Marechal Joffre (Maréchal de France/Guerre 1914-18) ».

Pour conclure, alors que ce jeudi 9 mai 2024 se tenait la journée de l’Europe commémorant la déclaration de Robert Schuman du 09 mai 1950, ex Ministre des Affaires étrangères françaises, Dominique Riquet met en exergue le prochain vote du 09 juin 2024 : « Le vote européen est le plus démocratique que je connaisse. Environ 140 partis politique sont représentés au sein des 27 pays de l’Union européenne avec un scrutin sur un tour et à la proportionnelle ». 

Votre vote est essentiel, l’abstention amenuise nos démocraties, retrouvez sur le site du parlement européen, dans une vidéo, l’importance de votre voix.

Retrouvez l’article de Médiacités par Jacques Trentesaux sur https://www.mediacites.fr/interview/lille/2024/05/30/dominique-riquet-leurope-navance-qua-coups-de-pied-dans-les-fesses/

Daniel Carlier

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