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Retour de vécu entre culture et incompréhension du justiciable

L’UPHF n’est pas à sa 1ère conférence thématique de haute volée, mais celle relative aux « Témoignages de juristes sur les incompréhensions et chocs culturels » méritait le détour sur un sujet complexe. En effet, les différents intervenants ont relaté un vécu, une adaptation nécessaire face à une situation d’incompréhension culturelle et/ou linguistique.

En propos liminaire, Maître Hervé Delplanque a mis en lumière Stephanie Schwerter pour son volontarisme à organiser un colloque sur ce thème, mais aussi une intervention tout public : « Suite à une conversation il y a un an déjà, elle m’a convaincu et pas lâché afin que nous organisions, avec l’appui de l’UPHF et d’autres partenaires associés, ce colloque ». On n’est pas surpris, l’avenir de l’homme, c’est la femme !

Ensuite, Hervé Delplanque intervient pour illustrer un dossier vieux d’une dizaine d’années, mais qui « m’a marqué profondément ». Fait du hasard du calendrier, cette conférence grand public se déroule la même semaine de la sortie, en France, du film phénomène italien « Il reste encore demain » consacré aux violences conjugales ordinaires et institutionnalisées dans l’Italie des années 50. « C’è ancora domani » (titre en italien), en noir et blanc, traverse avec humour et une réalité désarmante cette période où le reste des nations n’étaient pas très éloignées de ces pratiques.

« Deux jeunes femmes viennent à mon cabinet et me demandent de défendre leur père qui vient de tuer leur mère », explique l’avocat avec un sens théâtral éprouvé. « Pourquoi ? », la réponse est singulière « pour des endives brûlées ! ». Voilà la charnière d’un dossier atypique où l’auteur, un homme de 80 ans, a jugé normal de gifler sa femme, compte tenu du gaspillage alimentaire, avec une mauvaise chute à la clé entrainant le décès de son épouse et d’une mère de 7 enfants.

« Déjà, j’étais très surpris que deux enfants viennent me demander de défendre leur père dans ce contexte ! », dit-il. Au fil de son exposé, on comprend que son client souffrait d’un autoritarisme chevillé au corps, et des principes qui n’avait pas bougé d’un iota depuis les années 50. « Mettre une correction physique à sa femme, c’était normal, quasi son devoir compte tenu de l’erreur, selon lui. Quatre experts ont émis un rapport pour une conclusion générale limpide. L’accusé ne se sent ni auteur, ni acteur, ni responsable. Il avait de fait une rigidité de fonctionnement ancestrale, un anachronisme vivant ! Même ses enfants lui accordaient des circonstances atténuantes, car -la vie était dure à l’époque- », poursuit Maître Delplanque. Cet homme, âgé de 81 ans, fut condamné à 1 an de prison ferme, transformé avec un aménagement au bout de six mois. Voilà une différence culturelle entre deux siècles, une incompréhension d’un changement d’époque, un tribut insupportable que rien ne justifie, mais que notre corpus sociétal explique malheureusement.

Les forces de l’ordre

Stéphanie Schwerter

Indissociable de cette thématique transversale par essence, la Gendarmerie est aussi confrontée à ces différences, des limites dans l’exercice de leur autorité, voire des pratiques ultra-violentes comme « en Guyane, notamment dans la lutte contre l’orpaillage illégale. Nous devons opérer dans des conditions compliquées pour l’enquête judiciaire et par suite d’appliquer le Code de procédure pénale », commente Franck Berthelot, adjudant chefau sein de la Gendarmerie de Valenciennes.

Dans cette optique, le défi de l’interprétariat est fondamental à relever. « Nous avons tous un carnet d’adresses d’interprètes avec également un travail sur la toile numérique, en matière de stupéfiants, d’armes, mais aussi des enquêtes, sous pseudo, sur la pédocriminalité avec parfois le décodage d’un langage de jeune », ajoute-t-il.

Comprendre et s’adapter à toutes les situations, voilà le quotidien des forces de l’ordre en France.

La double casquette du juge des enfants

Ce statut de « juge des enfants » est connu comme particulièrement ardu dans la profession puisque « vous cumulez votre mission de protection de l’enfance et de juge des mineurs délinquants », commente la magistrate, Marie Auriault, au Tribunal judiciaire de Valenciennes.

La juge témoigne de certaines situations particulières où le sujet de la parentalité est également une confrontation des usages en la matière. « Dans certains pays, le recours au châtiment corporel est normal, l’éducation des enfants différente », commente Marie Auriault. 

Bien sûr, il serait très réducteur d’affirmer que ces espaces d’incompréhension se limitent aux étrangers. Parfois, un handicap, une pratique rituelle, une culture médicale antagoniste, une coutume intrafamiliale…, voilà les causes multiples d’une pratique de la justice écartelée par le Droit français et un quotidien dissonant. L’inculturalité touche de facto toutes les nationalités sur le sol français, l’exemple de l’île aux enfants, surnom du confetti dans l’Océan indien, en l’occurence Mayotte, où la culture côtoie également une « précarité insoupçonnée en métropole ». Retour sur un reportage au coeur de cette île, centre de l’actualité politique en 2024 https://www.va-infos.fr/2023/05/29/mayotte-cette-inconnue-casse-tete-pour-le-gouvernement-francais/

Le droit des étrangers

Pour conclure cette conférence thématique, Camir Kerifa, avocate au barreau de Valenciennes, est spécialisée dans le Droit des étrangers. Après un passage durant six mois au sein de la CIMADE (Accompagnement administratif et juridique des personnes étrangères dont les mineurs migrants isolés), l’avocate a fait le choix de cette spécialité. 

Inutile de dire que le langage, la compréhension linguistique, voire sa pratique, constitue un sujet central pour chaque dossier. « Entre autres, je travaille sur des dossiers de mariage, dits frauduleux, où la bonne pratique de la langue française est un élément d’intégration sociale majeur », commente  Camir Kerifa. Cette dernière regrette d’ailleurs de ne pas parler, comme ses parents et grands-parents, l’arabe, car même si vous ne pouvez pas faire les deux, en Droit, la compréhension des justiciables demeure centrale pour bien exercer les Droits de la Défense. 

Voilà un bref compte rendu de cette soirée de témoignages au sein d’une assemblée consistante, une soirée introduite par le Président de l’UPHF soulignant l’événement.

Daniel Carlier

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