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Lili Leignel, matricule N°25 612, en mission à la Cité des Congrès d’Anzin

Au sein de l’amphithéâtre de la Cité des Congrès sur Anzin, un petit bout de femme est venue toucher les coeurs et les âmes, sans parler de notre conscience collective, en racontant le quotidien de sa famille déportée entre 1943 et 1945. Ce mardi 21 novembre, Lili Leignel, née Roserberg, à témoigner sur son séjour dans deux camps de concentration avec une particularité singulière. En effet, sa fratrie, avec ses deux petits frères, est revenue au complet, c’est unique et presque sidérant face à tant de haine (visuel fratrie à la fin de cet article).

Lili Leignel, déportée à 11 ans où la résilience du messager !

Tout d’abord, le contexte est important, car ce projet de rencontre s’inscrit dans le dispositif de la « Cité éducative » où six établissements, collèges et lycées du Valenciennois, sont venus écouter une enfant déportée. Sous la houlette de la Proviseure du Lycée professionnel Pierre-Joseph Fontaine à Anzin et de l’enseignante Emilie Legrand, plus de six cents élèves étaient installés dans cette salle impressionnante où Lili Leignel a, en station debout à 91 ans durant 1h30 plus des questions de la salle, raconté sa vérité, son quotidien familial dans les camps de concentration.

Déjà, physiquement, elle ne fait pas son âge du tout et on est surpris à ses premiers mots. Le ton n’est pas péremptoire, nous n’allons pas assister à un cours magistral, mais à la découverte de Son histoire. La voix est douce, aucune syllabe n’est avalée, l’expression orale est presque rassurante, seuls les mots changent le profil du récit, terrifiant et implacable. Tout est dans le détail, la sonorité du mot « Nazi » dans la bouche de Lili Leignel est différente du reste, comme si l’insoutenable destin des juifs durant cette période noire de l’histoire résonne à chaque fois qu’elle prononce ce terme, bouleversant !

En prélude de son témoignage, elle explique toutes les restrictions que les juifs subissaient déjà en France, en zone occupée particulièrement, pas d’emplois, pas d’accès aux établissements publics, même les jardins d’enfants étaient interdits aux jeunes juifs. Cachée pendant un temps avec ses frères et parents, la famille a imprudemment rejoint le domicile familial où rapidement, voire par délation, ils furent capturés par « ces soldat bottés et casqués, schnell, los… disaient-ils sans arrêt où nous devions en quelques minutes prendre tout ce qui pouvait être précieux pour nous. Nous habitions Roubaix. J’avais 11 ans, mon frère Robert 9 et André 3, c’était le jour anniversaire de ma maman, le 27 octobre 1943  ». 

Elle fait part plus globalement de son incompréhension totale relative à « la haine du juif, car pour les Nazis, il y avait donc différentes catégories d’être humains et les juifs, tziganes, malades mentaux, etc., devaient être exterminés ». 

« Nous n’étions plus que des numéros », Lili Leignel

Ensuite, tout s’enchaîne, ils sont dirigés vers Malines en Belgique, l’équivalent de Drancy en France, car le Nord/Pas-de-Calais était géré par la Kommandantur installée à Bruxelles (et à Valenciennes l’antenne de cette Kommandantur était au Lycée Antoine Watteau dont les élèves étaient dans la salle). « Nous étions surveillés par des SS Flamands ! », souligne-t-elle comme pour indiqué que l’idéologie des Nazis  dépassait largement les frontières. En aparté pour illustrer ce dépassement géographique, Henri Ford, le fondateur américain de cette marque planétaire, antisémite convaincu fut un financeur assumé du 3ème Reich https://www.liberation.fr/planete/1998/12/04/ford-fournisseur-du-iiie-reich-le-groupe-americain-employait-prisonniers-et-deportes-en-produisant-p_254762/

Ensuite, dans des wagons à bestiaux pour 8 animaux dans lesquels ils étaient une centaine, les prisonniers sont partis vers le camp de déportation de « Ravensbruck », en Allemagne. Ce dernier était réservé aux femmes. Déjà, la famille Rosenberg était séparée du papa « que je ne reverrais jamais plus », dit-elle. Outre le tri entre les femmes et les enfants en bonne santé ou pas, notamment les personnes en capacité de travailler, Lili a été marquée par son matricule. « 25 612, nous n’avions plus de nom, nous n’étions plus personne. Nous n’étions plus que des numéros », commente Lili. Après la fameuse étoile jaune en France, un carré d’étoffe avec son numéro de matricule arborait son vêtement de déportée. « Ce n’est qu’au camp d’Auschwitz (camp de la mort) que les déportés étaient marqués au bras de leur matricule », ajoute-t-elle. 

La peur en permanence, de tout, des soldats et de leur chiens, des gardiens, l’appel à respecter où « le nombre changeait tous les jours, car des déportées mouraient dans la nuit où n’avaient plus la force de se déplacer pour l’appel. On restait donc des heures debout pour que les Nazis trouvent l’explication et le compte juste ». Dans son Bloc, le 31, il y avait des lits superposés sur 3 niveaux. Des résistantes connues étaient avec la fratrie Roseberg, mais également Geneviève de Gaulle, la nièce du Général. A ce titre, Lili a livré une petite chansonnette qu’elle et Geneviève ont revisité en mode de camp de concentration, une nouvelle version de la célèbre chanson « Douce France », de Charles Trenet en 1943, ce moment restera gravé dans nos mémoires.

La seule lumière dans la journée de ces enfants, n’osant pas sortir du tout pendant l’hiver et si peu durant les beaux jours, était le retour de l’Arbeit «  de maman. Je suis convaincue que sans elle, nous ne saurions pas revenus, mes frères et moi. Elle était si forte à Ravensbruck ! », poursuit-elle. Son sens du détail et de chaque anecdote sur son vécu était passionnant. La faim et le froid terrible accompagnaient ce quotidien insupportable. « On crevait de faim », clame-t-elle. 

« Bergen-Belsen, le camp de la mort lente », Lili Leignel

Ensuite, la mère et les 3 enfants partent pour un autre camp de concentration, plus terrifiant, celui de Bergen-Belsen. A son arrivée dans ce camp de concentration, Lili est marquée « par une odeur pestilentielle ». Ce sont les cadavres arrosés d’essence, brûles et consumés. « Ce camp était encore plus horrible, pas de lits, on dormait par terre. Nous avions encore moins de nourriture. Ce lieu de déportation avait un surnom, le camp de la mort lente ! », commente Lili. Le quotidien était insoutenable et « j’ai vu ma mère perdre toute sa volonté, contrairement à l’ancien camp ». Les maladies et épidémies étaient légions dans ces espace confinés et insalubres. Le Tifus, sous différentes formes, a fait des ravages d’où le surnom du camp en plus des conditions inhumaines extrêmes. Rencontrée en France après la libération, Simone Veil, Jacob en déportation, disait elle même que« Bergen-Belsen était atroce ».

Puis, une lueur d’espoir arrive avec la libération de ce camp par les Anglais le 15 avril 1945. Presque dramatiquement ironique, les libérateurs ont apporté de la nourriture, après un temps de sidération devant le délabrement humain, mais « nous n’avions plus l’habitude de manger. Les premiers temps, on prenait la miche de pain comme oreiller. On s’habituait à remanger un peu plus chaque jour. Par contre, beaucoup de décès sont intervenus chez les déportés avec un comportement plus glouton tellement ils avaient besoin de nourriture, leur estomac n’a pas supporté ce changement radical », indique-t-elle. 

Le retour en France…

Après une étape à Bruxelles, les trois enfants Ronseberg sont de retour en France en 1945. « C’est unique qu’une fratrie soit revenue au complet des camps de concentration. Je n’ai pas d’explication ! ». Ce miracle de la vie a permis à ces enfants de trouver asile sur la capitale à l’hôtel Lutécia d’abord, puis dans une famille bienveillante, et enfin chez une tante dans les Deux-Sèvres. « Et un jour, Maman est revenue, elle pesait 27 kg ! », lance-t-elle avec encore une joie non dissimulée dans la voix 80 ans après. 

… et la volonté de témoigner !

Bien sûr, le temps a été très long pour se reconstruire, mais « le discours des négationnistes m’a convaincu de me lancer dans un témoignage sur la vie de ma famille dans les camps de concentration », lance-t-elle à l’assistance d’une voix sans concessions.

Après ce récit ô combien poignant, une série pléthorique de questions a jailli de cette salle. La plus sensible fut sans doute « avez-vous pensé à changer de confession ? ». La réponse fut sans équivoque : « Pourquoi l’aurais-je fait ? »

« Lutter contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Ne laissez pas passer la haine. J’espère un jour un monde paix, que je ne verrai pas, mais il arrivera », lance Lili Leignel à son auditoire captivé et assurément porteur de cette flamme de tolérance sur le long terme.

Lili a parfaitement conscience qu’elle est comme individu dans les derniers en capacité de témoigner de cette période effroyable de la solution finale. « Beaucoup de déporté.e.s ne veulent jamais en parler où ont un suivi psychologique, c’est très compréhensible. Nous sommes tous mal à l’aise. Je suis mal à l’aise, mais ma résilience au delà du mal me permet d’être devant vous », explique-t-elle. 

Comme un message sans fin, elle espère « continuer jusque mes 100 ans et après on verra. Mon agenda est très lourd. Je suis sollicitée de partout, je suis presque tous les jours devant des enfants pour témoigner. Vous êtes mes petits messagers ». Chaque personne présente dans cette auditoire devait le souhaiter ardemment, car nous étions tous dans la salle ses petits messagers ! 

Enfin, rappelons-nous qu’Adolf Hitler a été élu démocratiquement en 1933 en Allemagne, pas par un coup d’Etat, et la campagne électorale de ce candidat a été soutenue et financée par de nombreux capitaines d’industries allemands de l’époque… ! A titre personnel, peu de gens mettent en avant cet aspect là, Adolf Hitler était très très riche, ses droits d’auteurs de son best seller « Mein Kampf », écrit durant son séjour en prison, lui ont assuré une rente à millions durant le règne du 3ème Reich. Tout cela pour dire que l’appât du gain ne le guidait pas, ni les dorures des pays conquis. Non, il était mué par la haine du juif. Plus jamais ça !

(Visuel au Mémorial de la Shoah à Paris dans la salle dédiée aux enfants… futur déportés, Lili Rosenberg debout à gauche avec ses lunettes, devant elle son petit frère André et Robert sur la droite).

Daniel Carlier

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