Sylvie Brunel : « Oui, nous avons besoin de tous nos agriculteurs »
Dans le cadre de la manifestation « Terres de Goûts » sur la commune de Saint-Amand-les-Eaux, une conférence majuscule a été organisée avec Sylvie Brunel. Conférencière très médiatique, elle défend avec force le métier d’agriculteur, trop souvent critiqué, jugé responsable de presque tous les maux, et pourtant si essentiel lorsqu’un pays comme la France, très exportatrice à travers le monde, a des responsabilités alimentaires vis à vis de ses citoyens et de par le monde. Toutefois, nié l’impact du réchauffement climatique et d’une pénurie de l’accès à l’eau, voire ignoré l’évolution indispensable de pratiques agricoles plus vertes, constituerait une faute majeure et irréversible pour notre survie collective. Sylvie Brunel navigue entre ses contradictions et ses vérités, un propos passionnant et clivant nécessitant le contradictoire assurément (visuel Sylvie Brunel et Isabelle Pique de l’association des agriculteurs de l’Amandinois organisatrice de l’évènement).
Sylvie Brunel, originaire de Douai, après un passage 5 ans chez MSF( Médecin sans Frontières), puis 10 ans au sein de l’ONG « Action contre la Faim », elle est aujourd’hui enseignante depuis 20 ans à la Sorbonne sur Paris, géographe, juriste, et spécialiste de la sécurité alimentaire.
Tout d’abord, il est utile de rappeler quelques chiffres à mettre en perspective. La terre des Hauts-de-France est la 1ère région agricole française, sa production représente 1/4 de la production française, ses atouts reconnus, des sols fertiles, des nappes souterraines avec une pluviométrie favorable, mais dernièrement en chute libre, font de cette région de 6 millions d’habitants un espace aux multiples possibilités. D’ailleurs, la taille d’une exploitation agricole est en moyenne de 91 hectares dans les Hauts-de-France contre 69 hectares au niveau national. « Il ne faut pas faire de nostalgie mal placée. Il y a 50 ans, les entreprises agricoles ne dépassaient pas, en moyenne, 20 hectares contre 69 aujourd’hui », commente la conférencière.
Ensuite, la région Hauts-de-France produit massivement du blé tendre, des pommes de terre (62% de la production nationale), des betteraves à sucre et ses nombreux produits dérivés, sans oublier les fameuses endives ou chicons pour les autochtones. Plus globalement, la France est en 2023 le 5ème exportateur mondial alimentaire, laissant depuis un moment la deuxième place (2019) à d’autres grands exportateurs alimentaires comme la Chine, la Russie, l’Ukraine, et l’arrivée de l’Espagne en 7ème position. « Cette rétrogradation s’explique, par exemple, à travers la baisse d’un million de vaches laitières en 10 ans. Je pense qu’il faut préserver notre puissance agricole. Oui, c’est de la géopolitique alimentaire », explique Sylvie Brunel.
« L’agriculteur est un chef d’entreprise ! », Sylvie Brunel
« Aujourd’hui, l’agriculteur est un chef d’entreprise, ni un jardinier, ni un décorateur de la nature ! Il faut penser globalement la diversité de nos agriculteurs. Dans cette région, il ya 40 PAT (Plan alimentaire Territorial), mais nous ne pouvons pratiquer une agriculture nous renvoyant au passé, ni à la pénibilité », déclare la conférencière.
Assurément, la technicité des équipements amène moins de pénibilité dans les différents métiers de l’agriculture à l’instar de la filière laitière ; un changement radical permettant un soin plus fin de l’animal paradoxalement, car tout le temps n’est pas consacré à la traite.
Par contre, Sylvie Brunel amène par quelques chemins détournés son hostilité à l’interdiction des produits phytosanitaires, voire du glyphosate, sans le dire, mais en faisant cheminer l’auditeur. « Allons-nous choisir le retour de la faim ? Beaucoup d’agriculteurs se retrouvent sans défense face aux parasites », s’exclame-t-elle. Là également, ce propos peut trouver des exemples contraire comme à travers les multiples expériences réussies en terme du biodiversité.
Ensuite, elle critique la nouvelle politique de la PAC (Politique Agricole Commune) mise en oeuvre par l’Union européenne avec le « retour de la jachère. On marche sur la tête, alors qu’il manque de la nourriture dans de nombreux pays du monde », ajoute-t-elle. Clairement, ceci constitue un véritable sujet de réflexion où les pays producteurs, et d’autres, devraient aider les pays bénéficiaires à initier une agriculture locale. On peut tout faire pousser partout, même les agriculteurs africains, notamment, soulignent qu’ils ne peuvent rivaliser sur les prix des produits alimentaires arrivant congelés par voie maritime, bien moins chers que leur production sur place. On veut nourrir la terre entière et faire du business aussi. C’est une réalité !
Autre sujet abordé, Sylvie Brunel a mentionné à plusieurs reprises son amour pour le maïs. Effectivement, cette plantation nourrit la planète, mais elle est également extrêmement consommatrice en eau. L’exploitant du 21ème siècle ne doit-il pas se tourner, sans le supprimer totalement, vers d’autres produits moins consommateurs en eau ? Malgré sa position géographique, les nappes phréatiques du Valenciennois, notamment celle de Vicq, sont très très basses. Evidemment, nos agriculteurs font des efforts, mais il est possible de faire mieux. Nous devons faire mieux collectivement plus largement.
A tout égard, la conclusion partagée par tous est le maintien et le développement d’une agriculture maîtrisée et adaptée au XXIème siècle et en phase avec les défis climatiques. « Oui, nous avons besoin de tous nos agriculteurs », une phrase prise à la volée d’une conférence de plus d’une heure trente, un temps fort de cette manifestation 2023.
Daniel Carlier