Un laboratoire… pour faire plus contre les violences conjugales et intrafamiliales
Vendredi 05 mai 2023, une matinée séquencée sur la thématique des violences conjugales et/ou intrafamiliales s’est déroulée à la fois en Sous-Préfecture de Valenciennes, dans un hébergement d’urgence, et à la Gendarmerie Nationale à Valenciennes. Outre le Sous-Préfet de Valenciennes, la Procureure de la République, les élus représentants les agglo, la sénatrice du Nord, la représentante du Conseil départemental, une chaîne d’actrices et d’acteurs présents pour la signature officielle d’une convention de partenariat pour la création d’un laboratoire de lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales.
Sur ce sujet de fond, comme pour d’autres, une caméra de recul est toujours révélatrice. A cet effet, on peut citer l’action de Valérie Létard au long cours, avant Me Too et après. En effet, déjà durant son 1er Secrétariat d’Etat (2007/2009), un plan pour la lutte contre les violences faites aux femmes et l’égalité professionnelle hommes-femmes était sur les rails, et nous pouvons collectivement s’interroger sur la portée de cette parole, comme de toutes les autres à cette époque ? L’écho fut-il retentissant dans notre société, non ! Et pourtant, 20 ans plus tard, sa proposition de loi sur l’aide financière d’urgence pour les femmes (et hommes) victimes de violences conjugales a été votée à l’unanimité en 2022 par les deux chambres parlementaires, beaucoup plus médiatisée, soutenue par un organisme aussi complexe que la CAF…, deux époques, deux ambiances, un monde d’écart, que dis-je un univers conscientisé. Le mérite est incontestablement de savoir attendre pour être toujours là afin d’appuyer sur le bouton lorsque la fusée a le carburant nécessaire pour décoller dans les âmes et consciences de tout un chacun. Chaque coup porté à son conjoint ou ses enfants réduit notre liberté collective ; nous validons cette réalité depuis peu, car hier seule la victime « éventuelle » était concernée par ses bleus au corps et à l’âme !
« 20% de nos dossiers sur ce ressort sont des violences conjugales et intrafamiliales », Christèle Dumont
Pour la prise de parole liminaire à la signature de cette convention, la Procureure de Valenciennes (re)centre le sujet au milieu du village : « Au TC de Valenciennes, 20% de nos dossiers sur ce ressort sont des violences conjugales ou/et intrafamiliales ». Le Sous-Préfet de Valenciennes soulignait également Sa découverte sur le Valenciennois : « C’est un sujet très prégnant sur cet arrondissement avec près de 2 000 victimes répertoriées en 2022 (sans compter le silence des autres). C’est pourquoi, nous devons apporter une réponse multi-formes. Nous devons aligner des briques, trouver du liant entre les nombreux intervenants ».
Effectivement, les actrices et acteurs sont nombreux comme le Département du Nord où Anne-Sophie Boisseaux a porté la parole de l’institution durant cette matinée. Très concerné par le sujet comme vice-président en charge du dossier au sein de Valenciennes Métropole, mais également comme professionnel de l’action sociale au sein du Conseil départemental du nord, Laurent Depagne place le niveau du sujet : « C’est un fléau national. 13% des femmes françaises disent être ou avoir été victimes de violences conjugales, nous sommes dans un des 3 départements les plus concernés, et qui plus est dans un des arrondissements les plus touchés. D’ailleurs, il y a eu une aggravation des chiffres avec La Covid et le lancement de ce laboratoire prouve notre volonté collective sur le sujet ».
Sur la même ligne, Aymeric Robin, président de la Porte du Hainaut, approuve cette dynamique : « C’est notre responsabilité de s’inscrire dans ce collectif, mais avec beaucoup d’humilité. Nous devons mieux accompagner les victimes dans nos actions au quotidien. Dans ce cadre, il est fondamental d’objectiver les cas traités, d’analyser chaque solution ! Comment faire pour mieux accompagner ? ». C’est pour le moins la question de fond à traiter par ce laboratoire sur le temps long.
« Enceinte, j’ai perdu mon enfant suite à des coups », victime
La deuxième séquence de la journée fut glaçante en confrontation avec une réalité de terrain. En effet, au sein d’un logement d’urgence sur le Valenciennois, de l’association SOLIHA, réservé aux femmes seules victimes de violences conjugales, une victime témoigne avec un courage fabuleux : « Pourquoi partir après si longtemps, car la routine des coups et des insultes s’est installée ? En fait, j’ai quitté mon domicile quand j’ai eu le couteau sur la gorge. Là, je me suis dit, je pars maintenant ou je suis morte », dit la victime malgré 20 ans de coups au corps et de maltraitance verbale. Un peu en ligne directe avec l’excellent film « l’emprise » sur le cas de Mme Sauvage, son témoignage est pétrifiant de réalité. « Dans mon corps, je suis morte, mais il me reste ma tête et je me bats pour mon enfant mort suite à des coups durant ma grossesse. Il a vu le jour, a respiré, est mort quelques minutes après… ».
Elle loue l’efficacité de la procédure : « En deux heures après mon départ, j’ai eu ce logement. Dès le lendemain, une psychologue était avec moi. On m’a écouté, on essaye de me redonner confiance même si je n’ai plus de dignité. Ici, je ne suis plus une benne à ordures… ! ». Elle raconte ses multiples passage aux urgences hospitalières pour des coups, années après années, où on lui posait les questions… « à coté de mon bourreau. Que vouliez-vous que je dise !!! Il faudrait isoler les victimes avec doigté afin nous interroger ». Enfin, elle met le doigt sur des aspects non mineurs pour un retour à la vie comme « l’importance d’avoir un coiffeur pour vous redonner goût à vivre, s’habiller. Aujourd’hui, je veux témoigner pour mon enfant décédé ».
La Procureure de la République rebondit sur cette intervention : « Effectivement, nous devons mieux appréhender la détection de ces signaux faibles ! »
« C’est une aide d’urgence universelle », Valérie Létard
Ce témoignage pétrifiant met en exergue la loi en cours de finalisation des décrets d’application sur « une aide financière d’urgence pour les femmes victimes, car en quelques instants elles peuvent se retrouver démunies de tout. Je précise que toutes les victimes sont concernées, en situation régulière ou pas, elle est donc universelle. Les décrets d’application en cours vont préciser la grille de financement, le périmètre d’application par exemple pour les personnes en situation irrégulière, les montants sous forme de don ou d’emprunt remboursable, etc. Je remercie la CAF pour sa précieuse collaboration », précise Valérie Létard. A ce titre, Véronique Delcourt, présidente de la CAF du Nord, confirme que « c’est complexe, mais nous allons trouver des solutions ». Nous voyons là concrètement tout le déterminisme nécéssaire à un changement structurel d’où le changement de paradigme indispensable évoqué plus haut dans cet article. L’objectif global se décline en 4 phases, subvenir aux dépenses économiques et administratives de la victime, sécuriser les situations fragiles, obtenir un versement sous 72 heures pour un affilié à la CAF et sous 5 jours pour les non affiliés.
Le Valenciennois est pilote sur la mise en oeuvre de cette loi en devenir avec « 27 victimes traitées sur le Valenciennois, 100 % des femmes, depuis novembre 2022 avec 7 prêts remboursables », indique la chargée de mission.
L’arrivée des travailleurs sociaux sur ces dossiers
Souvent précurseur dans l’action sociale, le Hainaut était cette fois en retard dans l’univers croisé du travailleur social au sein des forces de l’ordre. En effet, paradoxalement, les ISCG (Intervenants Sociaux en Commissariat et Gendarmerie) sont assez répandus en France, mais n’étaient pas présents sur le Valenciennois. L’erreur est réparée à travers la création d’un trio performant, un travailleur social à la Gendarmerie, une travailleuse sociale à la Police Nationale de Denain, une travailleuse sociale à la Police Nationale de Valenciennes.
Ces trois acteurs ont souligné l’importance de leur plus-value sur tous les dossiers des personnes victimes de violences. « 50% des violences que nous traitons sont liées aux violences conjugales et intrafamiliales, les deux sont corrélées, sont connectées. Souvent la cause est une addiction, notamment l’alcool …», expliquent les travailleurs sociaux.
Le commissaire divisionnaire comme le commandant de Gendarmerie approuvent cette nouvelle approche complémentaire de l’action des forces de l’ordre « avec un temps d’adaptation, car nous ne remettons pas en cause cette initiative, mais elle doit s’intégrer avec les équipes, comprendre quel est l’intérêt », mentionne le commissaire divisionnaire se félicitant par ailleurs de cette nouvelle donne en la matière. Pour sa part, le commandant de Gendarmerie souligne « cette problématique en ruralité, notamment chez des personnes âgées, parfois dépendantes de la famille ».
Cette violence intervient souvent durant la phase de séparation avec un paramètre corollaire très délicat à traiter. « Faut-il limiter ou pas l’autorité parentale, c’est un véritable sujet », commente la Procureure de la République.
Comme une témoin le soulignait dans la matinée « même si cela fait peur, ça vaut le coup de parler ! ».
Daniel Carlier