L’ésad Valenciennes en danger, des étudiants et professeurs unis pour la sauver
Quand on franchit les portes de l’ésad (Ecole Supérieure d’Art et de Design) de Valenciennes, en ce jour de février lumineux, l’émulation apparente ne laisse pas présager qu’une menace imminente de fermeture pèse sur l’école depuis le 5 janvier, qui marque le début d’une année blanche. Les coupes budgétaires répétées ces dernières années, causées par le retrait progressif de la ville de Valenciennes ont affaibli l’école. De plus, elle ne bénéficie pas du bouclier tarifaire pour l’énergie, accordées aux universités, ni d’aide pour pallier à l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires. Ce contexte rend l’école encore plus fragile.
Le contrat de la directrice Nawal Bakouri n’a pas été renouvelé, c’est Stéphane Dwernicki, enseignant en design, qui tient ce rôle actuellement. Pourtant, les étudiants et enseignants se mobilisent encore pour l’école. Depuis 2016, où une crise du même enjeu a eu lieu, les acteurs du monde de l’art et du design ne lâchent rien.
Les restrictions sont de plus en plus fortes mais au contraire de laisser l’équipe enseignante et les élèves perdre espoir, une force incroyable uni tout ce monde et avance grâce au projet d’une « Ecole rêvée », terme souvent énoncé par Lucille Bataille, qu’on pourrait qualifier comme une des portes paroles de l’école. Une « Ecole rêvée » c’est finalement celle qu’ils ont créé, par la force des choses : manquer de moyen, c’est trouver comment en trouver, et c’est sans compter sur la générosité des « gens du Nord », nous confie Lucille.
Un groupe d’étudiants a monté l’association « La glorieuse », à la recherche de matériaux dont se débarrasseraient des usines, scieries, magasins… et c’est maintenant ces lieus qui contactent l’école pour les fournir en matière première ! Grâce à cette association, l’ésad Valenciennes a rejoint le réseau des récupérathèques de France. Portée par Aude Delesalle et Marianne Sénéchal, « La glorieuse » est un magasin collaboratif de matériaux de réemploi ouvert aux étudiant.e.s de l’école. Elle fonctionne avec sa propre monnaie (ou son propre système d’échange) et vise à favoriser la durabilité, la solidarité et la création de lien social.
Les projets sont de plus en plus orientés vers un design social et solidaire. Ce qui était un handicap est devenu une force. Selon Delphine Duong, chargée de communication à l’ésad « C’est maintenant une éthique que tout le monde partage ».
De nombreuses idées ont émergées comme celle de refondre l’école avec d’autres agglomérations alentour, notamment celle de Maubeuge, du Hainaut et même pourquoi pas celle du pays de Mormal. Il y aurait alors un plus grand panel de décideurs et aussi une plus grande attractivité pour étudiants de première année.
Un projet de GR qui traverserait le territoire semble être ce qui anime particulièrement enseignants et étudiants de tout niveau confondu. Ce projet permettrait d’aller à la rencontre des habitants, de Valenciennes et bien plus loin et s’inscrirait dans une démarche à la fois artistique, écologique par le biais de la mobilité douce, et du social, par la rencontre de différents publics.
D’ailleurs, ce ne serait pas le premier projet de ce genre. Quand on entre dans l’atelier volume de Jean Baptiste Talma, on est surpris par la diversité des techniques proposées, qu’il enseigne d’ailleurs seul (car le budget ne permet plus d’avoir un assistant) : métal, bois, terre… Un prototype d’un range vélo qui sera installé sur les berges de l’Escaut, montre l’engagement de l’école au service des valeurs de l’écologie alliée au design.
Le projet moteur de l’école est donc véritablement le territoire. Lucile Bataille et Sébastien Biniek (le collectif « structure bâton »), les deux enseignants en graphisme/édition/impression qui sont la voix de l’école, ont choisis eux même de venir vivre à Anzin (ils viennent de Lyon), proche de l’école et de la richesse que le territoire peut leur apporter. Si la première année d’enseignement est plus orientée sur le local, le master ouvre à l’international. Il faut savoir qu’il est rare de trouver une école qui mêle aussi intimement l’art et le design : « Si l’école ferme, ce sera un effet domino pour fermer d’autres école. Si elle se re-invente comme elle est en train de le faire depuis déjà quelques années, elle sera un modèle ».
J’ai visité cette école accompagnée de Lucille Bataille Terree et Chloé, étudiante engagée qui représente ses camarades. J’ai assisté à des works-shop, j’ai vu des étudiants décharger des objets trouvés, donnés… De jeunes personnes œuvrer pour un monde meilleur et plus beau. J’ai vu une tête d’Eléphant à taille réelle en papier mâché, qui sera exposée lors de l’événement « IncaMania ! » une exposition sur la « Fête des Incas de Valenciennes », conçue dans le cadre d’un programme de recherche soutenu par le Ministère de la Culture, j’ai traversé des ateliers baignés de lumière, mais je ne sais pas si elle venait de l’extérieur ou de l’énergie déployée ici et surtout j’ai vu de la vie, j’ai vu une fourmilière, ou quoi qu’il arrive, chaque membre portera jusqu’au bout son projet.
Pendant une heure, je n’ai pu voir que des personnes engagées, unies dans leurs projets, une véritable énergie de groupe, certainement portés par quelques-chose qui n’est certainement pas assez rentable dans la logique libérale actuelle mais qui les dépasse et qui est essentiel à l’existence, mais : l’ART.
IncaMania ! présentera des objets et des documents historiques d’exception, provenant notamment des collections du Musée des Beaux-Arts de Valenciennes et des archives de la Médiathèque Simone Veil – Valenciennes.
L’ésad Valenciennes lance en parallèle, un appel à contribution aux habitants valenciennois pour recueillir objets, photos et anecdotes en lien avec ce pan de l’histoire festive locale !
Si les préoccupations politiques et économiques ne semblent pas atteindre la créativité de l’école, les projets semblent en irradier et se projeter de plus en plus loin.
Jane Huvelle