Valérie Masson-Delmotte : « Pas de solution unique pour agir contre le réchauffement climatique »
L’UPHF avait l’honneur d’accueillir la scientifique Valérie Masson-Delmotte pour une conférence sur la thématique « Agir face aux changements climatiques », un CV dithyrambique où elle fut associée au prix Nobel de la paix remis à Al Gore et au GIEC en 2007 en passant par le prix Irène-Joliot-Curie comme la femme scientifique de l’année 2013 jusqu’aux 40 femmes les plus influentes au monde par le magazine Forbes en 2021, cette synthèse réduite de son expertise explique un amphithéâtre plein à craquer pour une présentation magistrale à la portée du grand public. Retour sur un message positif, malgré des évidences climatiques alarmantes, car Valérie Masson-Delmotte croit (encore) dans notre capacité collective et individuelle à inverser le cours des choses.
Valérie Masson-Delmotte : « Etre plus résiliant autrement »
Face à cet immense défi, un chercheur de l’INSA met sur la table la question que tout le monde se pose « on ne sait pas par où commencer ! ». Voilà le socle d’incertitudes auquel s’est confrontée Valérie Masson-Delmotte, membre du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).
Tout d’abord, elle rappelle le statut de cette institution internationale : « Le GIEC est composé de 782 scientifiques internationaux, ils ont analysé près de 66 000 publications scientifiques, des commentaires faisant l’objet de 200 000 relectures par nos pairs. Ce travail collaboratif ne vise pas à donner des recommandations, mais elle analyse toutes ces publications en prenant en compte les demandes des différents pays. C’est comme un super contrôle qualité, un outil formidable validé par l’ensemble des pays. Bien sûr, nous avons progressé entre le premier rapport du GIEC en 1979 et celui en 2021, c’est le temps de la recherche fondamentale ».
Les mesures climatiques existent véritablement depuis 1850. En l’espèce, « la condition de chaleur de l’océan est un indicateur pertinent, soit +1,1°C depuis 1850. Cela se traduit par une hausse de la température de 1,7 °C en Europe. Nous avons plus évolué sur le réchauffement climatique depuis le XIXème siècle que depuis 2 000 ans. C’est véritablement une rupture ! ».
« 40 milliards de tonnes de C02 dans l’atmosphère par an », Valérie Masson-Delmotte
Certes, on s’aperçoit que dans les pays développés une réduction des gaz à effets de serre est active, mais évidemment insuffisante. En effet, le réchauffement sur les glaciers, le cycle de l’eau, la sécurité alimentaire… « Aujourd’hui, les événements climatiques (sécheresse, gel tardif, floraison précoce, inondation, tornade, tempête, etc.) sont cinq fois plus nombreux, si nous avons un réchauffement de 1,5°C, ils seront 9 fois plus nombreux, et avec une hausse de 4°C amènerait ces événements climatiques à devenir la norme », commente la scientifique.
Face à un rejet « de 40 milliards de tonnes de C02 dans l’atmosphère par an, nous savons que 23% du C02 est absorbé par l’Océan et 31% par les sols. Nous devons entamer cette course contre la montre contre le réchauffement climatique. C’est un défi formidable ! ».
Du national au territoire, tous acteurs du climat
La célèbre COP 21 avait fixé des caps clairs à l’horizon 2050, mais elle a été remis en cause dès la COP 24 par Donald Trump, la Russie, et l’Arabie Saoudite. Le retour de ces pays s’est réalisé pour la COP 26. « La prochaine COP est en Afrique. On estime à près de 3,6 milliards de personnes en situation de vulnérabilité climatique. Ensuite, le rendez-vous crucial est pour la COP en 2024 au sein des Emirats Arabes Unis. Ce sera le temps des analyses, des mesures pays par pays, prises contre le réchauffement climatique. Toutefois, il est important de se poser la question. Les pays auraient-ils mis en place une stratégie climatique sans les COP ? Je pense que non d’où l’intérêt de ces rencontres internationales », commente Valérie Masson-Delmotte.
Tout cela pour mettre en exergue un cadre national indispensable contre le réchauffement climatique, car « lorsqu’un pays comme le Brésil ne respecte pas ses engagements… D’autres pays s’adaptent comme les Pays-Bas où leur culture historique fut de gagner de la terre sur la mer. Aujourd’hui, ils inondent certaines terres », mentionne-t-elle.
Donc cadre national, mais à travers la planète, les solutions se trouvent également sur les territoires. « En France, il y aura des décisions à prendre sur notre littoral, voire certaines petites îles d’Outre-Mer. J’ai parcouru le monde pour le GIEC et j’ai écouté des initiatives locales intéressantes. Il n’y a pas de solution unique pour agir contre le réchauffement climatique. Nous devons être plus résilient autrement. Oui, notre fenêtre d’opportunités est étroite, mais nous sommes maîtres de nos décisions collectives et individuelles. Vos choix comptent ! ».
Cet optimisme, malgré les rapports très alarmants du GIEC, trouve sa source « dans cette prise de conscience de la jeunesse. Elle est exigeante. D’ailleurs, je croise dans les universités des étudiants très conscients de ces enjeux. La jeunesse est très à l’écoute sur le sujet climatique », ajoute-t-elle.
« repenser les mobilités », Valérie Masson-Delmotte
Sur le sujet climatique, la scientifique est très déçue « d’une absence de débat présidentiel sur la sobriété, au sens anglo saxon du terme. Nous devons agir d’ici 2030. Après, ce sera un décrochement brutal ».
Pour arriver à bonne fin, le cadre de l’union européenne comporte déjà des possibilités « de commercer, ou pas, avec des pays dont les produits respectent des normes écologiques. Chaque tonne de CO2 réduite nous donne du temps. Le Net Zéro est encore possible ( objectif mondial d’équilibrage entre émissions et absorptions) », explique Valérie Masson-Delmotte.
Ensuite, elle constate des améliorations en France grâce au Plan Climat développé sur les différents territoires en France. « La France a des particularités, elle émet 30% de CO2 via les transports. C’est le 1er poste d’émission de CO2 chez nous. Il faut donc repenser les mobilités, toutes les mobilités », ajoute Valérie Masson-Delmotte.
Evidemment, le sujet du nucléaire est inévitable en France : « Il n’y a quasiment pas d’équivalent dans le Monde avec un tel parc nucléaire. La RTE a fait une analyse technique avec plusieurs scénarios et les trajectoires possibles ».
« Prochain rapport le 29 juin », conclut-elle comme un appel à la vigilance permanente !
Daniel Carlier