Le SAVU fête ses 20 ans dans le Valenciennois
Voilà un anniversaire précieux à ce quotidien de presse ; retour sur un entretien en 2003 en tête à tête avec Jean-Louis Catez, Procureur de la République de Valenciennes, et initiateur du SAVU… en juin 2002. Oui, nous fêtons les 20 ans du SAVU cette année.
Jean-Louis Catez : « Désormais, avec le SAVU, la victime intervient dans le débat judiciaire »
Pour positionner dans le contexte cet entretien avec le Procureur de la République de Valenciennes, Jean-Louis Catez, en place depuis plus d’une année à l’époque sur le ressort judiciaire du Valenciennois, a lancé son SAVU l’année précédente. Cette interview intervient en juin 2003, soit un an après la mise en place du SAVU le 03 juin 2002.
Vous jugerez à cette lecture des avancées, voire des reculs, sur ce sujet, mais également des mots employés au début du 21ème siècle. On notera que, déjà à l’époque, la 1ère difficulté fut budgétaire. Ce 20ème anniversaire intervient dans un contexte particulier puisque l’association Prim’Toit vient d’absorber l’association l’AJAR dont le SAVU est toujours le fleuron, un événement heureux compte tenu de la situation financière, mais surtout au regard du maintien de tous les services au public. A cette occasion, des manifestations seront organisées pour fêter ce 20ème anniversaire d’une certaine conception de l’aide aux victimes.
Daniel Carlier : Comment est né le SAVU ?
Jean-Louis Catez : » Le SAVU (Service d’Aide aux Victimes d’Urgence) a été créé le 03 juin 2002. L’idée émanait conjointement de nos services et de l’association AJAR (Association, Justice, Aide, et Réinsertion). Le SAVU résulte d’une préoccupation judiciaire relativement récente, exprimée dans le cadre de la loi du 15 juin 2000 dite « loi sur la présomption d’innocence et sur l’aide aux victimes », mais qui n’en représentait qu’une partie très modeste. Or, depuis des décennies, les criminologues et autres auteurs travaillant dans le domaine du Droit avenir mis en exergue cette préoccupation qui a abouti à la naissance d’une nouvelle science dite « victimologie ». On prend en compte les auteurs d’infractions, on se préoccupe de leur sort, on tente de leur garantir l’exercice de toutes leurs libertés, mais les victimes sont les plus souvent les laissés pour compte de la procédure« .
D.C : Quel est concrètement le service proposé aux victimes ?
J.L C : » Désormais, avec le SAVU, la victime intervient véritablement dans le débat judiciaire, au même titre que l’auteur du délit et l’Etat, chargé de veiller à l’application de la loi loi par l’intermédiaire de ses procureurs et de ses juges. L’idée qui a sous-tendu la création du SAVU est la constatation de l’état de souffrance psychologique des victimes. La victime d’une infraction pénale en est toujours traumatisée, dans sa chair lorsqu’il s’agit de meurtre, de viol ou de coups, mais également psychologique quand il s’agit d’une atteinte aux biens.
A partir du moment ou quelqu’un souffre, il faut faire en sorte que cette situation cesse le plus rapidement possible, d’où la notion d’urgence. A l’instar du SAMU médical qui intervient directement sur les lieux de l’accident ou du malaise, le SAVU intervient sur les lieux du délit. En ce sens, le SAVU est une copie conforme du SAMU médical avec qui il travaille d’ailleurs.
En cas, par exemple de coups et blessures, de viol ou de tentative de viol, le SAMU intervient le premier pour soulager les blessures physiques, aussitôt suivi du SAVU qui lui intervient sur les souffrances morales. Le SAVU est donc organisé en système de permanences, comme peut-l’être le SAMU. Il agit sur demande des services de la police ou de gendarmerie. Disposant d’u local situé près du Stade Nungesser, le SAVU se compose de quatre équipes de deux intervenants, d’un standardiste, et d’un chef de service. Les binômes sont normalement constitués d’un psychologue et d’un juriste ou d’un travailleur social et d’un juriste. Les équipes se déplacent au plus près de l’endroit où l’infraction a été commise, mais également le plus rapidement possible pour nommer dans un 1er temps une assistance psychologique. La victime est invitée à mettre en mots la souffrance qu’elle ressent pour évacuer le traumatisme.
Il faut également la rassurer, notamment sur le fait que l’infraction ne sera pas sans suite. Puis la réconforter, pour lui faire comprendre qu’elle va devoir participer à la procédure judiciaire. Cet avis sur la suite qui va être réservée à l’affaire introduit l’action du juriste qui donne alors une information juridique, à ne pas confondre avec un conseil, sur ce qui vas e passer ensuite au niveau de la procédure pénale qui ne manquera pas d’être enclenchée par le dépôt de plainte de la victime. La troisième phase de l’intervention du SAVU, après la prise en charge psychologique et l’information juridique, est l’organisation de la prise en charge de la victime par des structures plus lourdes telles que l’AJAR, le CIDF (à l’époque) s’il s’agit de femmes battues, des associations de consommateurs dans le cadre d’infractions comme l’abus de faiblesse. La victime peut également être orientée vers un avocat « .
D.C : Quel bilan peut-on tirer de ce dispositif un an après ?
JL.C : » En 2002, c’est à dire à compter du 03 juin 2002, date de la création du SAVU, et alors qu’il rodait encore son fonctionnement, le service est tout de même intervenu auprès de 1 042 victimes. Après un an d’existence, on doit avoisiner les 1 800 cas traités, sachant que le rodage a également concernés les services de police et de gendarmerie qui devaient composer avec un nouveau dispositif. Les infractions qui sont les plus génératrices de l’intervention du SAVU sont essentiellement les violences, avec 266 victimes de violences « normales », auxquelles il faut ajouter la cinquantaine de victimes d’agressions sexuelles, le SAVU est également intervenu auprès de l’entourage des personnes décédées (le propos du procureur comprend plus largement la mission d’aide aux victimes quelle que soit la nature du traumatisme)« .
D.C : Est-ce une nouvelle prise en charge de la victime ?
JL.C : » A travers la mise en place du SAVU, on a vu émerger un certain nombre de préoccupations jusque là inconnues des services de Police, de Gendarmerie, et de Justice. Les urgentistes se sont trouvés face à des situations qu’ils ont eu du mal à analyser. Ainsi, les personne peuvent réagir différemment à la même infraction. Des personnes initialement très perturbées par l’infraction dont elles viennent d’être victimes pourront se remettre en deux ou trois heures, tandis que d’autres très sereines subiront le contrecoup du traumatisme quelques heures plus tard.
Les urgentistes sont tous jeunes, plongés du jour au lendemain au plus profond de la misère morale, et certains d’entre eux n’ont pas pu supporter toute cette souffrance et on quitté l’équipe. Nous avons alors mesuré que la prise en charge de la détresse des autres était particulièrement difficile à supporter, en dépit de l’enthousiasme initialement manifesté par ces jeunes gens. N’est pas urgentistes qui veut : il faut faire preuve de qualités morales très fortes. A ce niveau, nous sommes véritablement en train de créer une nouvelle profession. L’action du SAVU ne relève cependant pas de l’assistanat. Elle consiste davantage à faire prendre conscience à la victime qu’elle va devoir se prendre en main, se battre pour surmonter son traumatisme et sa douleur. Le SAVU lui donne les armes pour affronter l’auteur du délit. Le premier bilan est positif en ce que nous disposons désormais d’une équipe qui a choisi de se mettre à disposition de son prochain « .
D.C : Le budget du SAVU ?
JL.C : « Le budget du SAVU (440 000 € en 2003) se justifie à la fois par le fait que les équipes fonctionnent 24 heures sur 24, 365 jours sur 365, et que les urgentistes ont tous en moyenne un niveau BAC + 4, sans oublier les voitures, les portables… qui permettent à ce dispositif de fonctionner. Compte tenu de son importance, le budget du SAVU est évidemment notre principale préoccupation. En effet, la pérennisation de ce dispositif devra se concevoir à un niveau local. Chaque agglomération ayant ses particularités en terme de délits, ce qui implique que l’arrondissement prenne en charge le financement du SAVU.
En 2002, le SAVU a bénéficié d’un financement d’Etat au titre de la Politique de la Ville (Ministre Jean-Louis Borloo). En 2003, la jonction budgétaire a été permise par une aide financière de l’Etat. Quant aux subventions, elles n’ont pas été accordées que sur le principe, ce qui nous place en position inconfortable. Etant donné que c’est un dispositif qui coûte cher, il faudra que les communautés d’agglomération s’y investissent financièrement « .
La couverture médiatique nationale du SAVU fut très réduite à l’époque malgré cette initiative d’une cruelle réalité de terrain, mais en 2002 notre société était encore plus rétive qu’aujourd’hui…( https://www.leparisien.fr/faits-divers/un-service-d-urgence-pour-les-victimes-01-08-2002-2003290822.php)
Daniel Carlier