L’école à la maison, une liberté en danger !
Le projet de loi sur le « Renforcement de la Laïcité » a, entre autres, pour objectif celui de mettre fin à la liberté de l’instruction à la maison sauf pour raisons médicales. Ce choix politique n’est pas sans conséquences pour des milliers de familles françaises ; rencontre avec une famille du Valenciennois, Mickaële, une mère, et ses deux enfants, Ulysse et Violette, adeptes de l’IEF (Instruction en Famille) afin d’expliquer leurs motivations, leurs ressentis, et une colère face à cette loi présentée au Parlement en décembre prochain !
Mickaële : « Cette loi porterait atteinte à l’instruction de l’enfant pour un problème de sécurité intérieure ! »
Tout d’abord, l’école à la maison souffre indubitablement d’une ignorance profonde du grand public sur ses rouages, ses codes, et ses obligations. En effet, la sempiternelle mention -l’école obligatoire jusqu’à 16 ans- est fausse. Non, la Constitution française précise que l’obligation réside dans l’instruction jusqu’à l’âge de 16 ans en milieu scolaire ou à la maison.
Dans cette optique, la famille est encadrée « à travers un double contrôle, celui de la mairie sur le volet social afin de vérifier si le cadre pédagogique est adéquat, mais également par le Rectorat sur les compétences acquises. Il y a chaque année la visite d’un inspecteur de l’Académie et si nécessaire une contre-visite. Dans l’éventualité où les deux seraient négatives. Vous recevez une injonction afin de réintégrer votre enfant en milieu scolaire sous peine d’amendes, et de prison pour les parents », indique Mickaële. Voilà pour tordre le cou à l’idée saugrenue d’une école à la maison sans obligations !
« 25 000 enfants concernés par ce projet de loi », Mickaële
Au niveau pesée dans la population française, on estime à 50 000 enfants intégrés dans une démarche IEF (Instruction en Famille), soit 0,4% de la population de 3 à 16 ans. « 25 000 ont déjà une cause médicale à la clé. De fait, il ne reste que 25 000 enfants, soit 0,2%, concernés par ce projet de loi dont l’immense majorité n’est pas dans un processus de radicalisation », Mickaële.
Voilà le mot est lâché « radicalisation » avec son bagage politique épidermique. « Evidemment, il existe un réseau des familles où nos enfants se rencontrent très régulièrement pour des sorties culturelles, pédagogiques, etc.. Sur le département du Nord, nous devrions être environ 500 enfants dont 177 familles sont déjà inscrits sur un forum partagé. Personne n’est radicalisé dans ce réseau. En clair, ce projet de loi concerne un minimum d’enfants ! », commente la maman.
Bien sûr, le Président de la République s’appuie sur des données chiffrées ou l’IEF est en forte hausse depuis 2 ans. « Cela s’explique depuis 2019 par l’abaissement de l’instruction obligatoire dès l’âge de 3 ans (de 36 000 à 41 000 enfants). En effet, certains parents jugent que c’est trop tôt pour se rendre en milieu scolaire. Ensuite, cette rentrée 2020 (de 41 000 à 50 000) est également marquée par le Covid-19. D’autres parents ne veulent plus remettre leurs enfants à l’école tant qu’un vaccin ou traitement efficace n’est pas en vente. Cela n’a rien à voir avec la radicalisation. Bien sûr, nous ne nions pas que ce phénomène existe, mais le pourcentage est très faible. Ce taux ne justifie pas une telle mesure », souligne-t-elle.
Le chef de l’Etat s’appuie également sur un rapport du Sénat « dont la recommandation première est un contrôle accrue des écoles non conventionnées, une enquête approfondie sur les familles soupçonnées de radicalité, mais en aucun cas de supprimer le système de l’IEF (sauf pour raisons médicales) », commente Mickaële.
« Le Président de la République prend une tronçonneuse pour couper une petite feuille », Ulysse
Cette intervention donne l’occasion de converser avec les intéressés. Ulysse, 13 ans, au niveau 3ème avec un passage du Brevet en fin d’année claque une petite phrase « le Président de la République prend une tronçonneuse pour couper une petite feuille ».
Ulysse dans les classes primaires avait des références scolaires excellentes, un élève sans souci… « pour un professeur, le fait d’avoir de bonnes notes signifie que tout va bien ! », dit Ulysse presque laconiquement pour souligner une erreur d’analyse flagrante.
« Ulysse a passé une mauvaise année de CM1 avec une enseignante très rigide », indique Mickaële et un dialogue de sourd. A une entrevue professeur-parent-enseignant, Ulysse (9 ans) pose cette question à l’enseignante « c’est quoi le respect pour vous ? »… « le respect des règles, du programme, etc. », répond-t-elle. « Pour moi, c’est celui de l’être humain. Je me sentais comme une bête de foire », indique Ulysse. « Je m’ennuyais à l’école ! », poursuit-il. En clair, cet enfant à haut potentiel validait ses acquis de connaissance très rapidement « sans pour autant faire le choix de sauter plusieurs classes. Pour moi, cela peut-être destructeur pour l’enfant. Ensuite, il a connu une blessure sévère à la cheville en CM2. Son corps lui aussi l’alertait ! », précise la maman. Clairement, un mal-être s’était installé en milieu scolaire au fil des années. La solution d’une autre voie s’imposait. Un ultime passage par une offre alternative pédagogique de qualité, l’école Montessori (sur Thiant), ne fut pas probant pour Ulysse.
Enseignante en SVT, Mickaële avait fait le choix d’arrêter l’enseignement en milieu scolaire avant cette décision cruciale « ce qui a permis ce choix (d’école à la maison) », déclare Mickaële.
« Je ne suis pas du tout isolée », Violette
Là également, la rumeur sur ce choix de vie éducative voudrait présenter l’école à la maison comme un incubateur d’enfants asociaux, isolés de tout, reclus entre 4 murs avec le seul lien pédagogique comme repère.
Les deux jeunes insistent sur un point fondamental de leurs rapports aux autres. « Je ne suis pas isolée, je vois régulièrement mes ami(e)s. Rien n’a changé sur ce point depuis que j’ai quitté le milieu scolaire. J’aime les activités comme la danse et le théâtre », commente Violette adepte de l’IEF depuis trois ans également.
Violette est au niveau de la Terminale avec le BAC (nouvelle version) à la clé. Elle a passé avec bonheur ses épreuves de Français, en septembre 2020, comme tous les élèves avec 17 à l’écrit et 17 à l’oral. « C’est un choix que j’ai fait. Néanmoins, on peut choisir à tout moment de revenir dans le milieu scolaire. C’est très simple », précise-t-elle. Ce point est important, car l’IEF n’est pas un choix sans retour « j’ai des amis qui ont choisi de revenir dans le milieu scolaire après un temps à la maison », précise-t-elle.
Rien n’est figé. « Nous avons une autre enfant, Garance, qui a choisi de rester en milieu scolaire, car elle a besoin d’avoir du monde autour d’elle », précise Mickaële.
« Apprendre à mon rythme », Ulysse
Que représente l’école à la maison dans le mode de fonctionnement ? « Cela me permet d’apprendre à mon rythme. Tous les jours sont différents, ce n’est pas du tout pesant. Je suis passionné par l’ornithologie et la photographie. J’ai beaucoup de temps pour me consacrer à mes passions », précise-t-il.
Pour Violette, cette nouvelle donne scolaire a conduit « vers une meilleure confiance en soi, un bien-être sans stress, un sommeil retrouvé, mais également un nouveau rapport avec la famille ».
« Autant de familles que d’école à la maison », Mickaële
Pour autant, toutes les familles n’ont pas ce même modus operandi. Vous pouvez faire le choix d’un rythme très cadencé à travers le réseau éprouvé du CNED (Centre Nationale d’Ecole à Distance) très sollicité pendant ce confinement. Plus simplement, à travers un respect d’une organisation horaire interne voire sans aucun format pédagogique corseté. « Cela laisse une place maximale à la curiosité. Il y a autant de familles que d’école à la maison. Lorsque vous suivez un cursus classique, la curiosité de l’enfant s’éteint progressivement. Je ne fais pas du tout le procès de l’école, mais par contre celui de ce projet de loi voulant réduire cette opportunité offerte à certaines familles comme la notre ! », indique Mickaële.
L’autre idée reçue à combattre pour ces familles serait la prédisposition à enseigner par un parent. « Non, nous apprenons beaucoup de matières ensemble. Quel adulte se souvient de ses programmes du collège ou du lycée ? C’est presque un choix philosophique, il fait sens pour nous ! », conclut Mickaële.
Choix politique radical ?
Ensuite, le propos très réducteur « d’une famille musulmane choisissant l’école à la maison avec le soupçon de radicalisation est insupportable », indique Mickaële. « Mon meilleur ami (de 13 ans) est musulman, il est passionné d’ornithologie comme moi. Il m’a même pistonné pour intégrer un club renommé sur le sujet », lance Ulysse.
Le message familial est limpide. Certes, des familles profitent de cette latitude pour radicaliser leur enfant, mais cela reste une minorité. « Supprime-t-on la possibilité de conduire parce qu’il y aurait des chauffards de la route ? », s’exclame Mickaële.
Evidemment, cette minorité de 0,2% passe sous les radars médiatiques avec une pensée en filigrane, occuper un espace politique ! Peu importe si des familles vont souffrir !« Que vont devenir ces enfants rescolarisés ? Cette loi porterait atteinte à l’instruction de l’enfant pour un problème de sécurité intérieure ? », ajoute-t-elle.
Plus loin que ces choix politiques où l’enfant n’est pas au coeur du projet, il réduit l’élève à un sujet dont le cadre de vie scolaire ne serait que sa seule norme, et sa seule boussole. Indubitablement, l’école de la république est fondamentale pour certains, mais pour une minorité cet encadrement n’est pas le cocon espéré, mais une prison pédagogique. « Ce projet de loi est liberticide », conclut Mickaële.
Ce sujet est compliqué d’où l’utilité de quelques portes ouvertes sur d’autres réalités universelles !
Daniel Carlier