Le baiser de Gurshad Shaheman, le petit prince du théâtre.
Un baiser tressé de douleur et de paix. Un samedi soir sur la terre, au Phénix de Valenciennes via le Next Festival, Gurshad Shaheman avec beaucoup de sensibilité, dans Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète, donne une voix aux exilés. Les récits sont durs et violents, les voix sont calmes et posées, l’écriture est douce et acérée. Au bout du tunnel des lanternes d’espoir allumées avec un amour éternel.
Une étoile est tombée sur terre. Gurshad Shaheman ne rumine pas le malheur, il tire de ces fêlures des rais de lumière qui illuminent et réchauffent, des petits morceaux de ciel bleu en exil entre ces nuages si sombres.
La scène est plongée dans le noir. Sur le plateau, 14 comédiens de l’ensemble 26 de l’École Régionale d’Acteurs de Cannes et de Marseille, avec pour seule arme en main un micro pour faire entendre leur(s) voix. Celles que l’on entend pas, celles qui crient en silence, celles dont les médias ne font pas écho, celles que le metteur en scène franco-iranien a ramené de son voyage aux portes de l’Europe, entre Athènes et Beyrouth, où il est parti à la rencontre d’exilés de la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres.) La guerre oui, les explosions, les tirs, la fuite, la mer, les vagues, oui, mais l’intolérance aussi. Cette intolérance à leur vie amoureuse, à leur identité sexuelle, qui les a fait fuir. Rejetés, exilés…hors du cadre et des normes imposés dès le plus jeune âge qui assujettit tant d’êtres humains.
Gurshad Shaheman a fait délicatement pénétrer dans l’esprit des spectateurs des histoires d’amour et de guerre, dures et belles à la fois.
Ils ont les yeux fermés. Une lampe de poche posée au sol, une lanterne dans le noir, comme autant d’espoirs dans ce monde. Juste ça. Simplement ça. Vêtus comme dans la vraie vie, ils ne sortent de la pénombre que lorsqu’ils racontent leur histoire. Des confidences presque. Parfois les récits et les mots s’entrecroisent. Les voix de ces êtres déracinés se mêlent, se frottent les unes contre les autres, calmement, doucement. Ils se font témoins d’horreurs, d’atrocités, de tortures, de souffrances, de viols, de condamnations à mort et de rejet par les familles elles-mêmes, mais dans leurs veines coule le désir de vivre.
« Nous qui avons choisi de fuir, ou choisi d’être exilés, peu importe l’appellation. On a une très forte relation à notre valise, nos valises (…) Dans la première valise, tu transportes toute ta mémoire, après tu découvres que ce n’est pas très important, que ce n’est plus si important, alors ta valise devient plus petite et de plus en plus. Et vraiment là, tu ne prends plus que le strict nécessaire. Et même ça, tu pourrais t’en passer. A la fin, ce qui compte, c’est que tu existes encore. »
Dans cet oratorio, nous, spectateur, on se surprend à fermer les yeux pour mieux se concentrer sur la voix/voie que l’on veut suivre, celle qui touche le plus notre sensibilité. Fermer les yeux comme pour rejoindre les comédiens au plus près avec cette impression d’entrer dans l’histoire, dans leur histoire intime, d’être là, avec eux, à côté d’eux. Fermer les yeux pour mieux trouver le chemin du cœur. La musique entraînante de Lucien Gaudion s’entrelace aux récits, jusqu’à un point d’orgue, I feel love de Donna Summer résonne sur scène puis se mêle aux bruits assourdissants des bombardements. L’assemblage est magique. L’écriture de Gurshad Shaheman a ce pouvoir. Émotions et frissons parcourent le corps. Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète est une pépite.
Regardez ce dernier baiser tout en tendresse. Les mains caressent, les corps s’effleurent puis se fondent l’un contre l’autre. Non ne vous cachez pas les yeux ! Non ne détournez pas le regard ! C’est de l’amour. Ils s’aiment tout simplement. Le petit prince du théâtre le sait «on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. »
Céline Druart Beaufort
Infos pratiques Crédit photo spectacle Christophe-Raynaud-de-Lage / Crédit photo portrait Jeremy Meyssen