salariés détachés
Territoire

Salariés détachés et présidentielle

En 1996, une directive européenne a validé le principe des salariés détachés afin de favoriser l’employabilité d’un citoyen européen dans les pays membres de l’Union Européenne, un désastre social 20 ans après dans le Valenciennois.

Les salariés détachés creusent-ils le chômage local ?

Peu d’économistes, ou très discrets, avaient envisagé à l’époque un tel impact sur l’emploi dans le Valenciennois comme ailleurs. Aujourd’hui, les spécialistes évaluent le phénomène des « salariés détachés » à plus de 6 milliards d’euros, en 2015, ne bénéficiant pas principalement au secteur du BTP et à fortiori à l’emploi local dans les PME et l’Artisanat de proximité. Les salariés détachés, estimés en France à 285 000 officiels en 2015, et plus 300 000 autres travailleurs officieux, sont omniprésents sur les chantiers du BTP. La messe est dite et ces chiffres font bouger l’Etat. « un dispositif européen qui fait des ravages majeurs, terribles dans la monde ouvrier. C’est du dumping social… », indiquait Manuel Valls, en 2016.

Voilà pourquoi, la problématique des salariés détachés est sous le feu des projecteurs au niveau de la Commission européenne. La révision de cette directive, de 1996, constitue un enjeu d’Etat pour la France et l’Allemagne, très impactée également avec plus de 400 000 emplois détachés sur son sol. Marianne Thyssen, la commissaire européenne à l’emploi et aux affaires sociales, a indiqué le 20 juillet 2016 qu’elle maintenait ce projet de révision de la directive de 1996 malgré toutes les résistances que nous allons examiner.

Notons toute de même le temps de réaction, 20 ans de gouvernements successifs d’une obédience différente, pour s’apercevoir du détournement pernicieux d’une mesure votée collectivement. Néanmoins, cette fameuse directive de 1996 répond a un principe fondateur de l’Union européenne ; en l’occurrence, la liberté de circulation des biens, des capitaux, des services et des travailleurs…

Que veut-dire salarié détaché au sens de la directive européenne ?

L’article 2 de cette directive de 1996 est très clair : « Tout travailleur qui pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d’un Etat membre autre que l’Etat sur le territoire duquel il travaille habituellement« . Cela concerne exclusivement un emploi limité dans le temps et pas un expatrié installé durablement dans un état membre de la communauté européenne.

Ensuite, concrètement, cette directive distingue 3 cas possibles mais celui qui nous intéresse en l’espèce est le travailleur intérimaire détaché à « une entreprise utilisatrice établie ou exerçant son activité sur le territoire d’un Etat membre« . En décodé, cela permet légalement à un bénéficiaire d’un marché public, entreprise nationale, régionale voire locale, d’aller recruter des salariés détachés intérimaires dans les pays de l’Est afin d’exécuter le dit marché sur le Valenciennois par exemple. La seule obligation est « une relation entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement« . Rien de plus facile, il suffit d’un simple contrat de travail nominatif limité dans le temps (2 ans maximum). De facto, un intérimaire remplace allègrement un autre pour la même mission à l’étranger. La durée est quasi illimitée et le tour est joué… !

Toujours selon cette directive, les obligations à remplir sont simples. L’entreprise doit s’acquitter et respecter les conditions salariales du pays dans lequel le salarié détaché intervient. Par contre, et c’est là que le bât blesse, le chef d’entreprise cotise dans le pays membre où le salarié détaché est affilié habituellement ! Bien sûr, c’est sur ce point faible que s’appuie tout le BTP afin de faire baisser le coût du travail, trop élevé en France. Ainsi, les entreprises puisent au sein des pays de l’Est la capacité ouvrière à réaliser un chantier, pour survivre, en France métropolitaine et en Outre-Mer.

La théorie de Gilles Savary…

Dès le 10 juillet 2014, l’Etat français avait modifié cette directive de 1996, en France, avec notamment un principe de base « à travail égal, salaire égal » et surtout, il imposait le paiement des charges sociales dans le pays où la mission s’effectue. En un mot, l’équité était rétablie et la concurrence reposerait sur un coût du travail équivalent entre les postulants à un grand chantier public ou privé.

Dans cette logique de continuité, le 28 juin 2016, Gilles Savary, député P.S, a proposé une résolution dans le cadre du projet de révision de la directive de 1996, par la dite Commission européenne. Cette proposition s’attaque au principe d’un marché de l’emploi à bas coût. L’optimisation sociale ne sera plus le déterminant d’une réponse à un appel d’offre ; voilà l’objectif pourtant très difficile à atteindre au niveau d’un organisme à 27 membres !

Pour sa part, la député P.S, Valérie Rabault, souligne qu’un salarié au SMIC coûte moins cher à son entreprise qu’un autre des pays de l’Est détaché en France. Thierry Devimeux, sous-préfet de Valenciennes, confortait dernièrement ce propos en indiquant « si toutes les dispositions légales sont appliquées, un salarié détaché coûte plus cher à une entreprise« . De plus, il faut intégrer dans cette équation le CICE dans le calcul final même si cette mesure est temporaire mais reconduite pour 2016.

« Cette proposition transpose à l’envers la loi française du 10 juillet 2014« , souligne Gilles Savary. Surtout, elle intègre en plus une donnée technique fondamentale. Cela serait dorénavant, si cette révision passait, une mission limitée dans le temps. En effet, jusqu’à présent, cette notion était rattachée à la personne et limitée à 2 ans. De facto, la prolongation est illimitée en changeant le travailleur détaché. Maintenant, c’est la mission globale qui serait limitée à 2 ans et pas le salarié proprement dit, cela change tout !

Cette proposition de Gilles Savary fut largement approuvée par la Commission européenne des Affaires sociales sauf que…

… la pratique est tout autre !

Loin est cette contrée où tout le monde respecte la loi, un pays chimérique où le Parquet ne serait pas en apnée permanente, le TGI voire le Tribunal de Commerce submergés d’audiences car la réalité économique de terrain est tout autre :

– Les salariés détachés sont très rarement payés selon la grille de salaire négociée dans l’entreprise voire la convention collective,

– Ils n’exécutent pas 35 heures mais souvent 50 à 60 heures,

– Ils ne bénéficient pas des forfaits pour des conditions d’hébergements légales.

A telle enseigne, Emmanuel Jessoua, directeur des études de Coe-Rexecode, précise « il existe une fraude importante : non respect de la majoration des heures supplémentaires, sociétés écrans qui s’installent en Pologne uniquement pour détacher les salariés« .

De son coté, Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment, enfonce le clou : « Nous rencontrons deux types de concurrence déloyale ; les individus qui travaillent 55 à 60 heures par semaine mais ils sont payés 35 à 39 heures et ceux qui sont sous-payés. Un ouvrier qualifié du bâtiment est payé 1,5 à 2 fois le smic. Les travailleurs détachés, eux, sont pour la plupart au SMIC. Il faut plus de contrôle pour casser le sentiment d’impunité autour de ces fraudes« .

Et sur le Valenciennois

Evidemment, le Valenciennois est une terre de projets urbains ambitieux et cette directive de 1996 a profité à de multiples chantiers. On peut citer un des projets phares de cette décennie, le fameux Centre commercial Place d’Armes à Valenciennes. Un certain nombre de salariés des pays de l’Est étaient présents entre 2004 et 2005 sur ce dit chantier (inauguré en avril 2006 par Jean-Louis Borloo) et heureusement que la clause Molière n’existait pas car cette galerie du Centre Place d’Armes n’aurait peut être pas vu le jour !!! Les banques de guichet valenciennoises ont constaté cet effet pervers, mais légal, car ces salariés détachés ouvraient un compte bancaire afin de déposer leur salaire et le virer dans leur pays d’origine.

Bien sûr, à l’époque, pas l’ombre d’une polémique sur un chantier qui apportait des centaines d’emplois dans le commerce de proximité, un flux de chalands très important vers le centre-ville de Valenciennes, en somme du Business et au final un projet extrêmement positif pour la commune.

Cette tendance continue et des chantiers depuis 2012, pour prendre les plus récents, se déroulent sous le giron de cette directive même modifiée en France en 2014. Les témoignages viennent, logiquement, des entreprises non retenues par un appel d’offre public. « L’inspection du travail a constaté la non application des règles de droit du travail sur ce chantier, rien n’y a fait, les travaux se sont poursuivis« , exprime un chef d’entreprise du Valenciennois. Un autre va plus loin « ils logeaient dans des portakabins à coté du chantier« … et seraient hébergés de fait illégalement sous le nez de tout le monde.

Tout cela sans même parler d’acteurs du Valenciennois, bien connus, partis s’installer en Pologne pour fabriquer, par exemple, des fenêtres avec les meilleures normes thermiques. Bien sûr, le dit produit connaît un beau succès notamment auprès de certains bailleurs sociaux intervenant sur le Valenciennois… !

Une révision contestée !

Le petit problème est que cette charge de la Commission européenne contre cette directive de 1996 n’est pas du goût de tout le monde. En effet, onze états membres ont protesté officiellement, en avril 2016, en sortant des cartons jaunes. Une procédure très rare permettant à un Etat membre de contester un projet de directive dès lors qu’il considère que celle-ci traite d’un sujet relevant de ses compétences ! Les contestataires sont : le Danemark, la la Pologne, la Bulgarie, la Hongrie, La Croatie, la République tchèque, l’Estonie, la Roumanie, la Lituanie, la Lettonie, et la Slovaquie.

Le combat s’inscrit donc entre la résistance de ces 11 Etats et la volonté du couple Franco-Allemand sur le sujet, une discussion âpre s’annonce durant ces prochains mois. Et tout cela sans omettre le 28ème pays, la Grande Bretagne future sortante de l’Europe mais voulant conserver l’accès au marché au marché intérieur mais bien sûr en limitant la libre circulation des travailleurs…

Et tout passe par le contrôle… !

Le premier sentiment lorsqu’une réponse à un appel d’offre, local ou intercommunal, arrive à 50% du prix estimé par les services publics, compétents, ne devrait pas être une excellente nouvelle pour les deniers publics même compte tenu de la réduction des subventions de l’Etat. Non, l’inquiétude devrait être de mise car les entreprises n’ont pas le choix de brader leurs services pour récupérer des marchés publics, en chute libre, et pour cela d’abuser de cette directive sans vraiment appliquer toutes les obligations inhérentes à la règlementation française du 10 juillet 2014.

Il faudrait se pencher sérieusement à l’application sur le terrain de ces marchés publics dans le Valenciennois et réfléchir collectivement aux appels d’offres intenables pour une entreprise sauf en détournant la loi. La vie en société passe par une convergence des intérêts publics et pas une divergence sur l’épaisseur de son budget municipal, voire d’agglo, et des choix politiques personnels d’un service à la population maintenu ou supprimé.

Force est de constater que le Sous-Préfet de Valenciennes a pris ce sujet très au sérieux. « Près de 80 contrôles ont été effectués durant le second semestre 2106, un seul contrevenant. Nous allons continuer en 2107 ces opérations sur les chantiers du BTP« , indique le Sous-Préfet. A noter que depuis le 01 janvier 2107, une carte magnétique d’identification des travailleurs détachés est en place. Elle permet une visualisation immédiate des données du dit travailleur détaché, en règle… ou pas ! C’est un progrès incontestable pour l’efficacité des contrôles… !

Si ce dispositif concernant les salariés détachés n’est pas revu, on peut se livrer à un petit jeu ! De quelle nationalité (de l’Est) seront les ouvriers qui vont construire les complexes aquatiques très attendus sur Valenciennes et Denain ?

Réflexion faite, l’Europe, c’est un peu comme l’informatique ! Quand cela fonctionne, c’est utile ! Quand un bug survient, c’est le début de la chienlit car un reboot avec 27 doigts sur le même bouton… en simultané, c’est complexe !

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