François Perain « Il y a une crise du Ministère public »
Adoptée en 1ère lecture à l’Assemblée nationale, une réforme de la Justice est en cours au Parlement. Afin de décrypter cette future loi, découvrez un entretien avec François Perain, Procureur de la République de Valenciennes.
Entretien avec François Perain, Procureur de la République de Valenciennes
Le projet de loi initié par le garde des Sceaux « la loi de modernisation de la justice du 21ième siècle » apportera certaines réponses aux maux multiples dont souffre la justice ; voilà ses points saillants commentés par le Procureur de la République de Valenciennes, par ailleurs délégué régional de la Conférence nationale des Procureurs.
Justice plus accessible à Valenciennes
Point important pour le grand public avec l’arrivée prochaine du SAUJ (Service d’Accueil Unique du Justiciable) expérimenté actuellement dans 5 TGI, en France métropolitaine, dont Dunkerque ; c’est un nouveau service permettant au citoyen de trouver un site d’informations unique quel que soit le lieu de procédure en France. Ainsi, un habitant du Valenciennois pourra demander à ce SAUJ, une aide juridictionnelle ou autre information de Justice relative à une procédure le concernant au TGI de Valenciennes voire sur une autre juridiction sur le sol français. Sans aucun doute, cette mesure constitue une avancée notable en faveur de l’accessibilité à la Justice pour le citoyen. Très symptomatique, le nouveau portail internet, www.justice.fr, est une parfaite illustration de cette volonté d’une meilleure lisibilité .
La traduction sur le TGI de Valenciennes sera visible à travers l’installation de ce SAUJ (en 2017?) mais également avec l’achèvement des travaux du tribunal. « La seconde phase de ce chantier va s’ouvrir en 2017 jusque 2019. C’est une rénovation totale à l’intérieur du bâtiment où nous avons constaté la présence d’amiante. Tout sera rassemblé sur un seul site, l’annexe civile, square Billet, et rue Capron à Valenciennes vont revenir Avenue des Dentellières. Ce nouveau bâtiment va contribuer à un meilleur fonctionnement de ce TGI« , précise le Procureur de la République. Mis à part le clos et le couvert, tout est revu et rénové dans les murs, on peut parler véritablement d’un nouveau TGI à Valenciennes et pas d’un simple lifting.
Simplification de la Justice
Autre tendance de cette réforme, le besoin impérieux de désengorger les tribunaux français et à ce titre quelques procédures vont échapper au tribunal. Il en sera ainsi pour le divorce par consentement mutuel, sauf exceptions, le PACS etc. avec une volonté de régler les litiges (mineurs) de manière amiable. Des mesures de bon sens car elles contribuent à l’accélération du temps de justice. Il existe également la procédure du-Plaidé coupable- concernant « 500 dossiers par an au TGI de Valenciennes« , précise François Perain. Pour simplifier le propos, la case-passage au Tribunal-est évitée avec cette procédure.
Le Procureur de la République rappelle un postulat de base « la justice tranche. Il y a donc à minima 50 % de mécontents, parfois les deux quand la décision ne convient pas aux attentes des différents parties. La justice ne distribue pas des primes« . Il serait de fait logique que la conciliation devienne un succès et pourtant ce n’est pas franchement une appétence française « on le voit au niveau des Prud’hommes, le principe de conciliation est un échec dans l’immense majorité des dossiers« , commente le Procureur de la République.
Certes, la simplification est une « bonne idée » mais est-elle suffisante sans des effectifs en face ?
» Il y a une crise de la vocation «
Une loi nouvelle, des textes, l’ouverture de droit, tout cela implique une complexification et une nouvelle charge à chaque fois. « Sur mon sujet, la procédure pénale est extrêmement compliquée, la charge de travail des personnes travaillant au Parquet est très importante. 2 à 3 appels de nuit, 30 à 40 appels de jour et nous manquons également d’enquêteurs« , indique-t-il. Il poursuit par une traduction très concrète au TGI de Valenciennes : « Mon équipe est composée de 9 personnes, moi compris, et j’ai quatre d’entre elles qui partent en 2016. La tradition française veut que le Procureur de la République soit extrêmement solitaire et pourtant nous avons besoin, non pas de magistrats en plus, mais de collaborateurs pour effectuer des tâches, parfois répétitives, voire une aide à la décision ! »
Cet aspect est sans le plus important dans la compréhension de la Justice au quotidien. Le nouveau Garde des Sceaux y répond, partiellement, en créant un nouveau statut. En effet, une nouvelle fonction est proposée dans cette loi, celle- d’Assistant de Justice. « C’est une bonne mesure, elle était très attendue. Ils seront recrutés au niveau de l’ENM et pourront évoluer au sein du corps de la magistrature« , précise-t-il. Il faut rappeler que l’ENM (Ecole Nationale de la Magistrature) a opéré, depuis de nombreuses années, une ouverture de sa filière à des profils très divers. « Parmi mes 8 collaborateurs, j’ai un ancien enseignant et un ex avocat« , souligne François Perain.
Néanmoins, tout ceci ne résout par un problème de taille. « Il y a une crise de la vocation, une crise du Ministère public. Nous sommes obligés de recruter à la sortie de l’ENM« , commente-il. En clair, la tension, l’urgence, la charge de travail est telle que le parquetier n’attire plus du tout la nouvelle génération. « Au début, ce constat se limitait à la région parisienne mais peu à peu, elle se décline en province. Cette nouvelle loi ne répond pas du tout à cette problématique« , poursuit-il. Les chiffres sont édifiants, le taux de vacance chez les magistrats du Siège est de 5 % mais le double pour ceux du Parquet.
Il serait donc de bon aloi que le Parquet bénéficie de mesures spécifiques afin d’atténuer, à minima, ce frein à une justice efficace. Mais en même temps « nous sommes très attachés à l’unité du corps. j’ai d’ailleurs commencé ma carrière au Siège et je pourrais y retourner ! » De fait, il paraît assez compliqué de mettre en place un privilège.
Rappelons que le TGI de Valenciennes est le deuxième du département et le 4ème de l’ex région Nord Pas-de-Calais, c’est une place importante de la Justice et elle a besoin de professionnels à tous les niveaux, c’est une évidence de terrain !
Tribunal de Commerce de Valenciennes
La justice consulaire a été sous les feux de la rampe ces dernières années, très critiquée mais cela ne date pas d’hier. « On parlait déjà de l’échevinage quand j’ai commencé ma carrière« , lance le Procureur de la République. L’ex garde des Sceaux, Mme Taubira, a même relancé cette idée consistant à mélanger des juges professionnels et non professionnels.
La prochaine mouture enterre, peut-être, définitivement cette initiative très décriée par tous les tribunaux de commerce de France et en local par Serge Moreau, le président de la juridiction consulaire sur le Valenciennois-Avesnois. Néanmoins, pour répondre à certaines doléances, la loi Macron a déjà dépaysé les dossiers au dessus d’un certain seuil de salariés et d’un montant de chiffre d’affaires.
Sur le territoire, François Perain se félicite « d’un Tribunal de Commerce de Valenciennes qui fonctionne, qui applique la loi, de très haut niveau juridique avec quelques décisions qui ont fait l’objet de commentaires au niveau national et des juges de haute qualité« . Il pousse plus encore son propos » lorsque ce Tribunal de Commerce prononce une liquidation judiciaire, il répond à un principe de loi reposant sur la cession des actifs au plus offrant. Ce n’est pas une reprise d’activité ! » Et sauf changement par le législateur, duralex sed lex !
La Justice des mineurs
Voilà un sujet au coeur des rumeurs de la tribu bien connue des yaqua faucon ; la justice ne fait rien, relâche trop rapidement, serait laxiste envers les mineurs ? » François Perain s’insurge contre cette idée reçue « les citoyens voire les élus connaissent peu ou pas du tout le fonctionnement de la justice pour les mineurs ! » Comme son nom l’indique, elle concerne des jeunes hommes et femmes de moins de 18 ans et de facto « c’est à huis clos, en respectant l’anonymat afin de favoriser la réinsertion, des solutions éducatives sont privilégiées car la détention n’est pas la meilleure décision pour un mineur« , précise-t-il.
Sur ce volet ultra sensible, un TCM (Tribunal Correctionnel Pour Mineurs) avait été mis en place notamment pour les 16-18 ans et il serait supprimé dans cette nouvelle mouture législative. « Nous avons comparé les décisions de la juridiction pour enfants et celles du TCM. Elles sont de même niveau. Je suis assez satisfait de cette suppression du TCM sans oublier la charge supplémentaire que cela représentait« , conclut le Procureur de la République.
Collégialité
Autre sujet très médiatisé, la présence de deux juges d’instruction pour l’étude d’un dossier. Il faut le constater, après l’affaire Outreau « on a tout imaginé pour une nouvelle justice« , avoue François Perain. Néanmoins, cette initiative de la dualité des juges d’instruction constitue un échec « car il y a toujours un leader. Le juge d’instruction est par principe très indépendant et très solitaire« , lance-t-il !
Indépendance des magistrats
Enfin, l’indépendance des magistrats, le sujet est épidermique par excellence. Afin de répondre aux critiques, le Garde des Sceaux a proposé des mesures dans cette optique. Pour autant, une mesure vertueuse sur le fond est, parfois, compliquée sur le terrain.
A titre d’exemple, parmi les mesures envisagées, on peut noter celle concernant le juge des libertés et de la détention qui serait un juge statutaire, nommé avec toutes les garanties pour lui-même et pour le justiciable. Autrement dit, les juges des libertés et de la détention seraient des juges spécialisés, tout comme les juges d’instruction, des enfants et de l’application des peines.
Mais pour la Justice du quotidien « avant, un autre vice-président pouvait le remplacer durant ses congés, une absence ! Aujourd’hui, avec ce nouveau statut, cela ne sera plus possible ! », commente François Perain.
Et demain…
Ma conclusion de cet entretien avec le Procureur de la République de Valenciennes met en lumière un élément essentiel, la justice au quotidien. Le terreau d’où remonte les besoins humains, le fonctionnement efficient d’un tribunal, le besoin impérieux de non prolifération de nouveaux textes de lois, de nouvelles règles… mais pour atteindre cet objectif, il faut également un budget de terrain à la hauteur de cet enjeu sociétal !
Alors, observez à l’automne 2016 les commentaires sur le futur budget 2017 de l’Etat, la médiatisation se focalisera inévitablement sur celui de l’éducation nationale, de l’intérieur, du binôme emploi/économie, de la défense et par grand vent sur celui de la culture et du sport ! Pour la justice, on s’étonne que ce Ministère coûte encore quelques sous… Une hausse significative de son budget est aussi utopique que la création d’un Ministère plein du handicap. Au bout du couloir, la petite porte dérobée, tel est le lot du financement de la Justice française. Le redéploiement de crédits à une limite car à un moment donné, il faut envoyer un signal à ce corps uni de la magistrature et par ricochet aux citoyens afin qu’ils reprennent confiance dans la Justice. Si rien ne bouge, ça va craquer !