Les Tondues : Les Arts Oseurs ont osé en parler…
La Cie Les Arts Oseurs a arrosé le Centre des Arts de la rue, le Boulon, d’émotions ce vendredi soir à l’occasion d’une sortie de fabrique du spectacle Les Tondues. La Cie engagée a souhaité porter au cœur de la ville cet épisode de l’Histoire.
Au Boulon, la Cie Les Arts Oseurs pour les Tondues
En France, entre 1941 et 1946, 20 000 femmes furent tondues sur les places publiques, accusées d’avoir eu des relations privilégiées avec les allemands. Entre devoir de mémoire et envie de transmettre l’histoire, les Arts Oseurs ont livré un joli spectacle évolutif déjà chargé en émotions.
Périne Faivre et les Arts Oseurs se sont plongés dans l’histoire en portant au théâtre de rue La page noire de la Libération. Celle-ci nous laissant en mémoire immédiate les scènes de joie et de soulagement, des parades dans les rues des villes et villages libérés, des défilés de résistants, etc. seulement il y aussi les tontes des “collaboratrices”. Les Arts Oseurs ont témoigné à leur manière. Jolie manière.
La Compagnie Les Arts Oseurs pour un moment de « sortie de fabrique »
Les Arts Oseurs, Périne Faivre, comédienne et son complice peintre Xavier Moreno, furent un coup de cœur de la rédac lors des dernières Turbulentes pour leur spectacle « J’écris comme on se venge », accouché de l’autobiographie de Magyd Cherfi, la plume de Zebda. Haine, rage, amour, mélancolie, un mélange d’émotions que l’on est venue rechercher au Boulon. Et ça Périne, la comédienne sait faire et très bien faire. La Cie est accueillie en résidence au Boulon du 23 au 28 mai 2016, et ce spectacle offert ce vendredi est « une sortie de fabrique », comprenez la présentation d’un travail en cours, ce n’est pas encore une œuvre aboutie, mais déjà nous on peut dire que c’est une avant-première pleine de promesses. Souriante, la comédienne nous confiait quelques mots avant la scène avant le spectacle «nous sommes encore loin de la première, prévue en avril 2017, et allons jouer le jeu d’une prise de risque totale en montrant des ébauches, des pistes… Rien d’abouti donc mais des envies, des désirs de spectacle ! ». Une vraie chance pour les passionnés qui peuvent ainsi saisir en vol un spectacle qui est en phase d’élaboration. Une chance aussi pour les acteurs qui recueillent les impressions du public, pour faire évoluer la pièce.
Le spectacle et les premières impressions des Arts Oseurs et du public.
Une déambulation sous la pluie, des spectateurs armés de leur parapluie suivent les comédiens. Sur l’herbe derrière l’église des enveloppes contenant des lettres sont distribuées à chaque spectateur. Et c’est parti, ces lettres comme des portes ouvertes vers l’histoire. Poignantes.
Tous portés par le jeu des comédiens déambulent et se retrouvent sur une place ou un coiffeur parle de ses tontes « à la mairie j’ai tondu ces filles. Les mèches tombées au sol. C’était moi le héros de la France vengée, c’était moi le coiffeur… ». Elle est souriante Périne, ses mots déchirent. La tonalité de sa voix rend chaque mot plus fort. On savait que cela se produirait, haine, rage, amour, mélancolie, un mélange d’émotions que l’on était venue chercher, juste quelques mots qui claquent !
« Si j’avais su, je ne serai pas venue. Si j’avais pu, je ne me serai pas mise toute nue. J’aurai pas regardé, ni touché. Je n’aurai pas mis de fard sur mes paupières, ni de rouge sur mes lèvres, j’aurai baissé les yeux et dis bonjour au monsieur… ». Le choc des mots oui, le poids des photos aussi, mais quand la culture s’en mêle…! c’est parti pour un voyage vertigineux dans le temps, des moments comme seule la culture peut en offrir.
Quelques mots sous la pluie avec Périne : « nous avons fait depuis 2015, un gros travail de recherches sur « les tondues ». Ce qui m’intéresse le plus c’est la transmission de l’histoire. Les principales intéressées se sont tues et se taisent encore de nos jours. Très peu parle. Il n’est pas facile de recueillir leurs témoignages. Cela reste caché . Les petits-enfants eux transmettent … j’ai réussi à avoir quelques témoignages», confie la comédienne.
Coté Compagnie: des évolutions ? « On est en période de test, les réactions des spectateurs sont importantes pour nous. On veut tester des pistes, c’est encore fragile pour le moment. Les comédiens peuvent avoir le texte en main… et il y aura un comédien de plus, un danseur, qui lui aussi fera suivre son parcours à des spectateurs et de la décoration etc. ».
Coté public : « on a lu les lettres, elles sont belles, on a plongé directement dedans »… « c’était déjà très abouti comme travail », ou encore «le temps m’a semblé passer si vite… »
Le Boulon s’est transformé en havre de paix à la fin du spectacle, tel un nid, un abri, pour un moment d’échanges entre les spectateurs et les comédiens, tous ravis. Une proximité riche d’enseignements, un échange de bons procédés aussi.
L’Histoire : en France, entre 1941 et 1946, entre 20 000 et 40 000 femmes furent tondues sur les places publiques, accusées d’avoir eu des relations privilégiées avec les allemands.
Rasées. Humiliées. Jugées par vox populi, des milliers de femmes ont été tondues sur les places publiques, accusées, à tort ou à raison de collaboration avec l’occupant allemand. Une épuration sauvage? Volonté de justice ou fureur de punir ?Oui la population a souffert, le traumatisme de l’occupation, la frustration, les restrictions, les peurs, la faim, la découverte de l’horreur des camps, le retour des rescapés, les témoignages, le peuple souffre et née alors une volonté d’ épuration en profondeur. Oui les forces d’occupation nazies furent terribles. A la recherche de boucs émissaires…
S’en prendre aux « collabo » fut donc un exécutoire commun. La liste des griefs est longue. Certaines étaient peut-être des «espions » mais la majorité non, et une différence, que dis-je un fossé sépare le fait de collaborer pour le pire avec l’armée nazie, et le fait d’être inculpée de « collaboration horizontale avec un boche» ! Ainsi, en exemple, les femmes fautives et jugées indignes sans parler de toutes celles qui ont été dénoncées, pour des actes, des crimes, qu’elles n’avaient pas commis, furent tondues, départies de leur féminité, mais aussi violentées voire violées en prison, ou même exécutées sans aucune forme de jugement. Délit d’adultère avec l’ennemi de la Nation. Les relations sexuelles avec les Allemands n’ont influé en rien sur le cours des événements.
Silence, les Arts Oseurs ont joué, avant eux, les artistes ont parlé….
Reste que la mémoire officielle a toujours préféré refouler «Les Tondues». C’est alors la culture qui en parle le mieux, les écrivains, poètes, cinéastes, chanteurs…ont su évoquer ce sujet sensible.
Marguerite Duras et Alain Resnais, dans Hiroshima mon amour, ou encore le poème de Paul Eluard, Au rendez-vous allemand, qui cite « En ce temps-là, pour ne pas châtier les coupables, on maltraitait les filles. On alla même jusqu’à les tondre », et les magnifiques paroles de « La Tondue » comme disait Georges Brassens en 1964 dans « La Tondue », paroles reprises en chanson par la Cie les Arts Oseurs, « la belle qui couchait avec le roi de Prusse – A qui l’on a tondu le crâne rasibus – Son penchant prononcé pour les » ich liebe dich – Lui valut de porter quelques cheveux postich’s – J’aurais dû prendre un peu parti pour sa toison – J’aurais dû dire un mot pour sauver son chignon – Mais je n’ai pas bougé du fond de ma torpeur – Les coupeurs de cheveux en quatre m’ont fait peur – Quand, pire qu’une brosse, elle eut été tondue- J’ai dit : » C’est malheureux, ces accroch’-cœur perdus – Et, ramassant l’un d’eux qui traînait dans l’ornière – Je l’ai, comme une fleur, mis à ma boutonnière – En me voyant partir arborant mon toupet – Tous ces coupeurs de natt’s m’ont pris pour un suspect – Comme de la patrie je ne mérite guère – J’ai pas la Croix d’honneur, j’ai pas la croix de guerre – Et je n’en souffre pas avec trop de rigueur – J’ai ma rosette à moi : c’est un accroche-cœur ». Il y a des blessures qui ne cicatrisent pas …